Par Wilson Le Personnic
Publié le 3 mars 2025
Entretien avec Mathilde Carmen Chan Invernon
Propos recueillis par Wilson Le Personnic
Mars 2025
Mathilde, tu développes tes propres projets depuis maintenant plusieurs années. Peux-tu revenir sur les différentes réflexions qui traversent ta recherche artistique ?
Lorsque j’initie un projet, je cherche toujours à me mettre en mouvement, physiquement et/ou émotionnellement. Mes dernières pièces ont pour point commun de questionner l’appréhension du corps dans l’espace public et intime, sa capacité à se transformer et à s’émanciper du milieu dans lequel il se trouve.
Bell end est un portrait du corps du connard. Peux-tu retracer la genèse de cette création ?
J’ai d’abord rêvé de cette pièce et du dossier que j’écrivais pour pouvoir faire une résidence de recherche. Je crois que cette création est tout simplement née de l’envie de rire du « connard » qui nous oppresse dans notre quotidien. J’étais aussi très inspirée par une conférence de la philosophe Elsa Dorlin sur l’auto-défense féministe qui invitait à déminer son passé des violences sexuelles et sexistes pour ne pas les reproduire.
Peux-tu partager quelques questions qui ont nourri le terreau de réflexion de cette création ?
La première question qui s’est formalisée par la création d’un abécédaire a été : comment un micro-geste, un micro-mot, invisible pour certain·es, suffit-il à m’empêcher, à me taire, à disparaître ? Un geste ou un mot minuscule peut-il être violent ? Comment les intégrons-nous ? Pourquoi voulons-nous dominer l’autre ?
Peux-tu partager un aperçu de cet abécédaire ?
Il s’agit d’un abécédaire de mouvements et de postures que nous avons travaillé avec Arianna Camilli, en invitant plusieurs personnes à parler de leurs connards. Dans cet abécédaire, on retrouve par exemple des gestes comme lever la main en menaçant, lever les yeux au ciel lorsque l’autre parle, coller son entrejambe à n’importe quelle surface, frotter, tapoter, pincer les parties molles du corps de l’autre etc. On retrouve également des mots, qui sont souvent des onomatopées, « olala », « ohhh ça va », « hé hé hé toi là » ou parfois des petites phrases qu’on a beaucoup trop entendu « fais pas ta timide », « tais toi », etc.
Peux-tu donner un aperçu du processus de création de Bell end ?
Nous avons beaucoup expérimenté en studio, en assemblant ces différents matériaux, en créant textes et chorégraphies, en les juxtaposant, etc. J’ai aussi cherché à créer des dissociations, par exemple en combinant des gestes violents avec des mouvements doux et lents, en chantant des chansons paillardes vulgaires avec une voix lyrique, en essayant de parler tout en gardant les lèvres immobiles grâce à la ventriloquie, etc.
Qu’est-ce qui a motivé cette pratique de la ventriloquie ?
Il était important de ne pas juste représenter la violence au plateau et la reproduire. La ventriloquie était la forme la plus intéressante pour deux raisons : d’une part, cette pratique engage tout le corps : c’est une danse de la langue qui remue le ventre et les émotions, et d’autre part, parce qu’elle symbolise des traces que le connard laisse dans notre corps, autant de comment il s’y loge qu’il nous transforme. Elle permet de donner à voir le corps du connard et l’objet de son désir. Pour les interprètes elle a aussi un effet cathartique: c’est dans les tréfonds du ventre qu’on réactive les traces qu’a laissé le connard sur notre corps et qu’on se le réapproprie.
Le 18 mars 2025 au Festival Artdanthé, Théâtre de Vanves, avec le Centre culturel suisse On Tour
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