Photo 1 Silvano Magnone

Ula Sickle, Light solos

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 19 juin 2017

Chorégraphe et danseuse, la Canadienne-Polonaise Ula Sickle travaille régulièrement avec des artistes d’horizons divers. Ces différentes collaborations l’amènent à penser le médium danse à travers différentes formes, de l’installation vidéo aux performances live. Elle participe actuellement au projet Sound & Vision (a Liquid Room) du collectif belge de musique contemporaine Ictus. Présenté il y a quelques jours au Théâtre Nanterre Amandiers dans le cadre du festival Manifeste de l’IRCAM, ce prodigieux concert nous a permis de découvrir ces Light solos pour la première fois en Île-de-France.

Comment avez-vous rencontré Yann Leguay avec qui vous avez co-signé les Light Solos ?

J’ai rencontré Yann Leguay au Fresnoy en 2008. Ancien diplômé de l’école, il y intervenait en accompagnant les étudiants dans leurs projets. Nous avons travaillé ensemble sur mon projet de première année, une installation vidéo intitulée Looping the Loop (2009). Nous avons alors entamé un dialogue artistique qui s’est poursuivi avec une version live de l’installation vidéo, Solid Gold (2010), avec un danseur de Kinshasa, et avec mon projet de fin d’étude Light Solos, Atomic 5.1. Depuis, nous avons créé cinq pièces ensemble.

Quels sont vos intérêts en commun ? Comment est né le désir de travailler ensemble  ?

Ce qui nous a réuni au départ c’est l’intérêt de rendre visible ce qui est « présent », mais qui passe souvent inaperçu. Dans nos premières recherches, nous avons travaillé à partir du corps d’un danseur hip hop, en amplifiant les sons qu’il produisait : le rythme de son corps en mouvement, sa respiration. En supprimant la musique sur laquelle il dansait, on pouvait regarder et écouter ses pas de danse autrement. Il y avait derrière cette recherche une ambition presque politique : celle de rendre visible l’intensité et l’effort de cette danse.

Au regard de votre travail, comment le projet Light Solos s’inscrit-il dans votre recherche artistique ?

Dès mes premières recherches, j’ai voulu utiliser les médiums équitablement, que ça soit le corps, le mouvement, la lumière, le son, l’espace, etc. Dans les trois pièces qui composent ce projet, c’est la lumière qui, le plus souvent, produit la sensation de mouvement. Grâce à notre persistance rétinienne, la lumière crée parfois des mouvements qui n’existent pas, ou des gestes qui s’imprègnent sur les yeux du spectateur même après leur disparition.

L’écriture chorégraphique est donc écrit pour et par la lumière ?

Une grande partie de ce travail repose en effet sur la programmation lumière, les trois soli qui composent ce projet reposent sur ce même principe. Avec Yann, nous avons beaucoup discuté sur ce paradoxe contemporain : le corps n’est-il finalement pas un extension de la technologie et non l’inverse, la technologie comme une extension du corps ?

Pouvez-vous revenir sur la genèse des Light solos ? Comment est né ce projet au long court ?

Au Fresnoy, en deuxième année, nous avions pour objectif de travailler avec des nouvelles technologies. Il m’a semblé plus juste, dans ma recherche, de revenir à une technologie plus ancienne, qui est finalement à l’origine du cinéma : le stroboscope. En mettant plusieurs lumières stroboscopiques autour d’un seul corps, je pouvait produire toute sorte d’effets visuels, presque comme dans un film d’animation. J’ai utilisé des « Mac Atomics » de chez Martin (célèbre marque de matériel d’éclairage professionnel, ndlr), car ils ont une très grande échelle de vitesse et de luminosité. Dans le premier solo, nous avons travaillé sur l’alternant entre immobilité et mouvement. Depuis différents angles, des sources lumineuses produisaient la sensation du mouvement sur un corps immobile, ou parfois au contraire, des flash lumineux figeaient le corps en mouvement dans une image fixe.

Comment avez-vous travaillé avec Yann pour ce premier solo ?

Pour le premier solo, nous avons décidé de mêler la conception lumière et sonore. Yann a disposé des micros sur les lampes pour amplifier le son produit par le déclenchement des flashs. La partition sonore est donc écrite par les lampes. Yann joue en live en modulant leurs fréquences et leur résonances. Ce dispositif rejoint d’ailleurs les problématiques de son approche sonore qui se base principalement sur des sons concrets souvent imperceptible sans amplification.

Comment cette recherche a-t-elle évoluée pour le deuxième solo ?

Pour le deuxième solo, nous avons travaillé à partir d’une lampe Mac 700 de chez Martin. C’est une lampe robotique, avec plusieurs options de couleur et des gobos un peu tacky (Un gobo est une plaque – sur laquelle est dessinée un motif – qui se place devant un projecteur et qui permet de projeter des motifs lumineux, ndlr). À l’instar des MAC Atomics, c’est des lumières utilisées principalement pour des concerts et des boites de nuit. En amplifiant la mécanique à l’intérieur du boîtier de la lampe, Yann a créé un son répétitif, presque comme de la techno. À partir de ces principes électronique, il fait un DJ set en live, ce qui produit en même temps les effets visuels. L’utilisation de couleur était le point de départ de ce solo. En mélangent du magenta et du cyan, on arrive a un couleur très opaque, un bleu très profond, presque comme du black light. Dans l’oeil du spectateur, cette couleur rend les mouvements flou, tandis que les couleurs « pures » du type cyan, magenta, jaune, blanc, crée des images très nettes. Suite à ces premiers essais, la chorégraphie s’est développé à partir d’une partition pour les bras : avec la persistance rétinienne, le spectateur peut voir plusieurs bras défilés, à l’instar de la divinité Shiva Nataraja.

Ces deux premiers soli sont présentés dans le cadre des concerts Liquid Room d’Ictus. Qu’en est-il du troisième solo qui clôt cette trilogie ?

Après avoir travaillé sur le blanc dans le premier solo et sur la couleur dans le deuxième, nous avons voulu travaillé sur l’absence de lumière, le noir, l’ombre. Il s’agit d’une partition pour 81 lampes de concert de type PAR. C’est un peu les lumières fétiches des light designers car elles sont très simple et offre une vrai ambiance et chaleur sur scène. En basse luminosité, l’effet de ces lampes rend la lumière couleur dorée. On s’est focalisé ici pour ce dernier projet sur les mouvements des ombres. Pour l’anecdote, se sont les mêmes lampes de l’installation lumineuse qui surplombe Kanye West au concert à Glastonbury en 2015.

Light Solos fait écho aux recherches esthétiques menées par la chorégraphe Loïe Fuller au début du XXème siècle. Aviez-vous à l’esprit son nom pendant la conception du projet ?

Loïe Fuller a évidemment été une référence. Nous nous sommes également nourrie de l’histoire du cinéma, et de son développent, notamment grâce aux recherches sur les illusions optiques.

Créés entre 2011 et 2013, les Light Solos sont aujourd’hui présentés dans le cadre des concerts Sound & Vision du projet Liquid Room d’Ictus. Quels sont les enjeux de présenter une performance chorégraphique dans le cadre d’une soirée qui rend principalement hommage au médium sonore ?

Nous avons beaucoup joué les Light Solos indépendamment des soirées Liquid Room.  Aujourd’hui, c’est un véritable plaisir de travailler avec les musiciens d’Ictus, et d’être programmée à leurs cotés. Les jouer aujourd’hui sous forme de concert avec d’autres artistes au sein d’un programme d’oeuvres musicales offre un nouvel angle de regard sur le travail de Yann, qui est compositeur et musicien.

Votre pièce Extended Play va être présentée la saison prochaine au 104 dans le cadre du festival Séquence Danse Paris. Vous pouvez nous en dire quelques mots ?

Cette pièce continue en quelque sorte la recherche entamé avec la série des Light solos. Il s’agit d’un projet en collaboration avec l’artiste visuelle et DJ Daniela Bershan (Baba Electronica). La pièce est présentée dans un dispositif scénique proche de celui des Light solos, le public est assez proche des interprètes et peut se déplacer comme il le souhaite. Nous y développons des liens entre danse et musique, corps et technologie. Nous avons conçu un application pour iPad qui permet aux danseurs/musiciens, de jouer la musique en live pendant le spectacle. Ils composent en live des morceaux à base de samples de musiques populaires par dessus lesquels ils enregistrent leurs propres vocalises en direct. On s’est ensuite demandé comment le delay ou l’autotune pouvait être mit en mouvement, la partition chorégraphique s’est donc construite sur ce même principe, à partir de samples et de citations de danses populaires. Les danseurs/musiciens sont eux même la matière qu’ils remixent.

Photo © Silvano Magnone