Photo © Tine Declerck

Tim Etchells « Un corps est le point de rencontre de nombreuses voix »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 7 novembre 2017

Après avoir présenté en septembre dernier le spectacle Real Magic avec sa compagnie Forced Entertainment au Théâtre de la Bastille, Tim Etchells est de retour au Festival d’Automne à Paris. L’auteur et metteur en scène anglais présentera du 24 au 26 novembre au Centre Pompidou sa dernière création avec la chorégraphe d’origine américaine Meg Stuart. Ensemble, ils co-signent Shown and Told, performance multidisciplinaire où se confrontent le médium et la pratique de chacun : danse et mot, geste et écriture, corporalité et oralité.

Votre première collaboration avec Meg Stuart remonte à 2001 avec la création d’Alibi. Quels souvenirs vous reste-t-il de cette première rencontre artistique ?

Je ne me souviens plus exactement comment nous nous sommes rencontrés, je pense que c’était lors d’un atelier à Zurich. Peu de temps après, Meg m’a invité à participer à l’écriture du texte d’Alibi. Je suis allé aux répétitions, j’ai écris de nouveaux textes et j’ai travaillé à partir d’improvisations avec les interprètes. C’était très intéressant pour moi, à différents niveaux cette la combinaison du texte et du matériel théâtral avec la danse était quelque chose que j’aimais bien mais que je découvrais. C’était évidement lié à mon propre travail avec Forced Entertainment, nous travaillions déjà beaucoup le texte sous la forme du collage à cette époque, avec des matériaux divers provenant de différentes sources, employés dans divers modes. J’étais également très heureux de voir quelqu’un d’autre mener un processus de fabrication ! Meg et moi travaillons de manière très différentes, mais cela ne nous a pas empêché de créer des liens très forts.

Vous avez travaillé ensemble à plusieurs reprises, notamment sur It’s not funny en 2006 et All Together Now en 2008. Aujourd’hui vous co-signez Shown and Told. Quelles forces sont en lien dans votre travail ?

Meg et moi partageons l’idée qu’un unique être humain est le point de rencontre de nombreuses voix, impulsions ou présences différentes, aussi bien de point de vue physique que linguistique. À mon avis, avec Meg, on se retrouve autour de l’idée de la transformation, du mouvement de la forme, de l’instabilité de l’humain, de sa présence, c’est le substrat depuis lequel est née notre collaboration. Beaucoup de forces sont continuellement en action sur nous. Je pense que nous commentons tout deux cette même idée, mais de façon différente, pour ma part à travers le langage, et Meg par le mouvement.

Pouvez vous revenir sur la genèse de cette dernière création ?

Avec Meg, nous nous sommes revus presque par hasard, il y a environ deux ans, à l’occasion du projet Expo Zéro de Boris Charmatz à Berlin. Nous étions tous les deux invités avec d’autres artistes à participer au projet. Avec Meg nous y avons notamment développé quelques structures d’improvisation qui semblaient intéressantes mais qui nécessitaient d’être approfondies. Nous avons développé ce matériau et ajouté de nouveaux éléments, ce qui a donné la structure de Shown and Told. La forme du spectacle est aujourd’hui assez fixe mais certaines séquences restent ouvertes à de l’improvisation. Nous connaissons les matériaux et les formes avec lesquelles nous travaillons, mais la manière dont tout se déroule en direct reste ouverte.

Comment vos deux pratiques de la danse et de l’écriture se sont-elles confrontés en studio ?

Nous sommes tous les deux intéressés par la relation entre le mot et l’image, entre les mots et le mouvement ou l’action, notamment la manière avec laquelle le texte peut ajouter une couche de signifiant à une image ambiguë ou la capacité de l’image à rendre spécifiques et matérielles des idées qui restent abstraites dans le langage. L’une des premières choses sur lesquelles nous avons travaillé était des séances de description. Parfois pendant le spectacle, il semble que j’essaie de décrire Meg et les mouvements qu’elle effectue quand elle improvise, tandis qu’à d’autres moments il semble qu’elle elle tente de me suivre, s’inspirant d’idées charriées par mon texte.

Que vous permet cette double pratique sur le plateau ?

Je suis fasciné, dans le travail sur des fragments de langage, par l’exploration des mots et de leur entrée en physicalité : permettre aux mots d’être en quelque sorte incarnés dans le temps et l’espace – c’est la rencontre entre le langage et la physicalité. De l’écran d’ordinateur ou de la feuille de papier, les mots que j’écris vont se retrouver ensuite dans un corps, dans l’air. Aussi, je travaille sur l’idée selon laquelle la langue habite mon corps et comment elle m’anime dans l’espace. Jusque dans le simple fait de respirer, le langage devient physique, quand j’essaie de parler très vite, ou de décrire ou de répondre à ce que fait Meg. Le langage et le mouvement, pour moi, ne sont pas vraiment séparés, aussi éphémère qu’elle puisse être, la voix est toujours profondément ancrée dans le corps. Il y a aussi des moments du travail où je ne parle pas, et c’est Meg qui prend le relais. Ou alors nous nous taisons tous les deux.

Nous voyons régulièrement des chorégraphes collaborer avec des auteurs. Je pense à notamment à Pierre Alferi et Fanny de Chaillé, Christine Angot et Mathilde Monnier, Gisèle Vienne et Dennis Cooper, etc. Dernièrement, le chorégraphe Boris Charmatz a également utilisé vos textes (Erasure, Hands Touching, Move et Starfucker) dans une de ses pièces. À vos yeux, pourquoi les chorégraphes s’intéressent-ils autant à la littérature et à la matérialité des mots ?

Peut-être pour les mêmes raisons que celles que j’ai citées plus tôt : parler est déjà une façon de se mouvoir et les mots que nous disons ou entendons sont très efficients quand il s’agit de conduire, amplifier et informer le mouvement. Le mot parlé – lié à la respiration et au son pré-linguistique – est inscrit très profondément dans le corps, difficile de l’en séparer.

En dehors de vos collaboration avec la chorégraphe Meg Stuart, vous collaborer régulièrement avec des danseurs ou des personnalités de la danse : le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch en 2016, avec Kate McIntosh en 2011, Fumiyo Ikeda en 2009… Qu’est-ce qui vous pousse à travailler avec des danseurs en dehors de votre collectif Forced Entertainment ?

De façon générale, je suis attiré par ces artistes qui oeuvrent aux frontières de leurs disciplines : les metteurs en scène qui glissent vers l’installation, la performance ou la musique, les chorégraphes qui travaillent conceptuellement ou autour des pratiques sociales, les plasticiens qui se dirigent vers le théâtre. Les chorégraphes et les danseurs apportent d’autres façons de penser l’espace et le temps, d’autres façons d’organiser les matériaux et l’énergie et c’est toujours fascinant de me laisser entraîner dans ces autres économies. Au théâtre, il y a également une tendance à penser en terme de narration, ou à tout organiser frontalement. C’est toujours bon pour moi de ré-envisager ces choses là. Je dirais aussi que je suis plus volontiers attiré vers des créateurs et performeurs très forts – même s’ils viennent de la danse, il y a quelque chose de très puissant chez les danseurs avec qui j’ai collaboré au Tanztheater Wuppertal Pina Bausch, Meg, Fumiyo, ou Wendy Houstoun, qui est la première danseuse avec laquelle j’ai travaillé. Ce sont des interprètes qui ont une forte présence idiosyncratique, qui peuvent agir sur leurs états face aux autres comme un matériau. La danse ou le jeu ne sont qu’une petite parcelle de ce champ là de possibilités.

Création et interprétation Meg Stuart et Tim Etchells. Conception lumières Gilles Roosen. Costumes Annabel Heyse  Photo © Tine Declerck.