Photo © Meng Phu

Tatiana Julien « Ciseler autrement l’imaginaire du danseur »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 21 décembre 2017

Danseuse et chorégraphe, Tatiana Julien collabore avec le compositeur Pedro Garcia-Velasquez et l’écrivain Alexandre Salcède depuis 2012. Fruit d’une écriture commune, leur création Initio [Live] – Opéra chorégraphique rassemble sur scène l’orchestre de chambre Le Balcon, deux chanteurs et cinq danseurs. Créé au Théâtre National de Chaillot l’automne dernier, le spectacle sera prochainement présenté le 23 janvier au Grand Théâtre de l’Opéra de Dijon dans le cadre du festival Art Danse. Tatiana Julien a accepté de revenir sur les enjeux de cette création et répond à nos questions.

Pour Initio [Live] – Opéra chorégraphique, vous collaborez une nouvelle fois avec le compositeur Pedro Garcia-Velasquez et l’écrivain Alexandre Salcède. Quelles sont les dynamiques de ce trio artistique ?

Nous avons eu durant cette période de création et de collaboration beaucoup d’affinités intellectuelles. Nous avons partagé une vision de l’art en général assez commune. Les dynamiques de travail se sont établies ainsi, dans une porosité des sensibilités : un goût pour le charnel, la poésie, l’incarnation, le lyrisme et une sorte de méfiance commune pour ce qui se dit être « d’aujourd’hui ».

Comment Initio s’inscrit-il dans votre recherche artistique ? 

Initio s’inscrit dans la lignée d’une recherche en lien avec la création musicale, la musique contemporaine de Pedro-Garcia Velasquez. Ensemble, nous avons tenté de trouver progressivement une forme de spectacle qui comporte la même exigence d’écriture en musique et en danse, et qui ne soit ni à aborder comme un concert, ni comme un opéra, ni vraiment comme un spectacle de danse.

Vous semblez entretenir une relation intense avec la musique depuis vos premiers projets. Qu’est-ce qui anime cet intérêt ?

Je trouve que la musique de Pedro Garcia-Velasquez est décomplexée de la dichotomie entre contemporain et classique. C’est ce qui m’attire dans la musique dite savante. Les compositeurs ont pour habitude d’entendre du Bach et de créer des nouveaux sons en même temps. En danse nous sommes uniquement dans le présent, dans la recherche de la nouveauté, alors que notre rapport à l’histoire est extrêmement sélectif.

Pouvez-vous revenir sur la genèse et le processus de création d’Initio ? A quel moment la chorégraphie, la composition musicale et le livret se sont-ils rencontrés ?

Dans Douve, Alexandre est intervenu comme collaborateur, penseur, conseiller dans tout le travail de conception du projet qui s’inspirait d’Yves Bonnefoy. Pedro a écrit la musique au fur et à mesure de la création et des résidences, les choses sont parvenues en même temps. Dans Initio, Pedro et moi avons passé commande à Alexandre d’un livret, Pedro a composé la musique selon mes indications, et la danse, la mise en scène est arrivée dans un troisième temps. Cependant, il a fallu plusieurs autres étapes avec de grosses modifications du livret et de la musique pour parvenir à l’objet final présenté à Chaillot.

Les pièces Douve, Ruines, et Initio semblent tisser des liens entre elles. Que partagent ces trois projets ?

Dans les pièces Douve, Ruines, et Initio, j’ai développé un vocabulaire chorégraphique très ciselé, sensible, musical, incarné et empreint de façon assumée de l’histoire de la danse. Je trouvais intéressant de résister, à mon jeune âge, à une tendance du présent qui s’assumerait comme plus contemporaine. En tant que danseuse-interprète, je traverse des expériences chorégraphiques de toutes les esthétiques. En m’emparant, de 21 à 28 ans de formes, d’esthétiques et de physicalités du passé, j’ai pris le parti engagé d’aller vers une démarche dépouillée de tout enjeu de mode. J’ai posé en quelque sorte sur la table la question suivante : qu’est-ce qu’une oeuvre contemporaine? Sur quelle histoire de l’art est-il plus coutumier ou acceptable aujourd’hui de s’appuyer?

Douve, Ruines, puis Initio ont aussi été trois oeuvres qui ont posé pour moi mon rapport à l’espace comme une matière dense, et le fait que les déplacements des danseurs viendraient toujours prendre leurs sources dans des raisons spatiales. Ce premier rapport m’a amené à réfléchir au panel des états possibles de l’interprète au plateau : entre être traversé ou être en possession des choses. C’est un travail d’incarnation. Pour cela il faut apprendre à être disponible, à faire le vide en soi ou en-dehors de soi, et accepter en quelque sorte d’oublier l’image que l’on renvoie, même si l’écriture est formelle. Jusque là, j’ai toujours oscillé dans ce paradoxe essentiel d’incarner la forme jusqu’à oublier ce qu’elle renvoie. Ce travail m’a amené à ciseler autrement l’imaginaire du danseur, et à en arriver aujourd’hui à ne mettre presque plus qu’en avant cet imaginaire là. C’est quelque chose qui se perçoit dans le solo de Brigitte Asselineau ou dans le mien. L’écriture finit par se situer au niveau de l’imaginaire et presqu’aucune forme n’en émerge.

Conception Tatiana Julien et Pedro Garcia-Velasquez. Mise en scène et chorégraphie Tatiana Julien. Composition musicale Pedro Garcia-Velasquez. Livret Alexandre Salcède. Direction musicale Maxime Pascal. Orchestre Le Balcon. Photo © Meng Phu.