Photo roger bernat©BLENDA

Roger Bernat « Le plus grand respect que l’on peut montrer vis à vis d’une pièce, c’est de se donner la peine de la démolir.»

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 9 mars 2015

Le metteur en scène catalan Roger Bernat est invité à La Villette dans le cadre de l’Esprit de Groupe qui s’y tient du 17 au 28 mars. Ce Festival a pour particularité de réunir des spectacles où la notion de groupe, de multitude ou plus largement de communauté est au cœur du processus de création des artistes invités. Aux cotés de Marta Górnicka, Christophe Meierhans ou Ivana Müller, Roger Bernat présente deux spectacles de son large répertoire : Le Sacre du Printemps et Numax-Fagor-plus (NF+). Il a accepté de revenir sur ces deux pièces et répond à nos questions.

Dans votre pièce Le Sacre du Printemps, les spectateurs sont invités à porter des écouteurs dans lesquels leur sont dictés des instructions afin de reproduire la célèbre chorégraphie éponyme de Pina Bausch. Comment s’est envisagé le travail de retranscription ?

Au lieu de transposer les mots en mouvement comme font les chorégraphes, nous avons transposé les mouvements existants en mots, ce qui nous confrontait en même temps à une simplification et à un refroidissement. C’était la façon de convertir le rituel référencé dans la chorégraphie en un jeu pervers où le spectateur est appelé à participer à quelque chose qui est déjà survenu et à faire partie d’une fausse chorégraphie tout en interprétant ainsi son rôle de faux danseur. Et, tout en jouissant du décalage, se questionner à propos de sa place : doit-on suivre les instructions? La voix qu’on entend à travers les écouteurs est la même que celle des autres ? Je danse où je suis ? Se demander, en fin de compte, si notre réponse est la juste.

Votre pièce peut-elle se lire comme un hommage ? Avez-vous eu des retours d’anciens danseurs de Pina Bausch ?

Notre version n’est pas commémorative. Ni Bausch ni Stravinsky ont besoin de notre révision du mythe. De plus, lorsque Malou Airaudo (interprète emblématique de la troupe du Tanztheater Wuppertal qui interpréta notamment l’élue » dans Le Sacre du Printemps de Pina Bausch.) vit ce spectacle à Bolzano, elle fut « dégoutée ». Elle pensait que on se moquait de Pina. En matière d’art, le plus grand respect que l’on peut montrer vis à vis d’une pièce, c’est de se donner la peine de la démolir.

Pouvez-vous nous parler du dispositif de Numax-Fagor-plus (NF+) ?

NF+ est une machine à faire revivre les mots, avec l’avantage que ces mots renaissent sans avoir à la charge la résurrection des personnes qui les incarnent à l’origine. Enfin de compte, ce sont les mots qui nous donnent la vie, et pas le contraire. C’est de justice que de les faire revivre, pour donner vie au public, par exemple, étant donné que ça fait déjà trente ou quarante ans qu’il est mort.

Pourquoi partir du film Numax, présenta (1980) de Joaquim Jordà ?

Numax, presenta, comme Torre Bela de Thomas Harlan, est un de ces rares exemples où la caméra prétend être témoin d’un moment historique malgré son réel rôle : le reconstruire. Dans le cas de Joaquim Jordà, les travailleurs qui ont mis fin à l’occupation de l’usine décident de reproduire leur lutte face à la caméra. Les assemblées sont des fausses assemblées et les travailleurs y jouent d’ailleurs assez mal. Et malgré ça, ce qu’ils disent est toujours aussi chargé de vérité. Alors, en reproduisant trente cinq ans plus tard les mêmes dialogues et les mettant dans la bouche de quelques spectateurs qui n’ont rien d’ouvreurs ni d’acteurs, on est en train de réaliser la même opération : qu’importe qui prends la parole puisque c’est la parole qui nous dis.

Dans NF+, c’est très intéressant de voir comment les spectateurs prennent la parole spontanément lorsqu’ils ont compris le concept participatif de la pièce.

À différence d’autres pièces où le spectateur est protégé par la multitude, dans NF+, celui-ci doit se détacher du groupe et prendre la parole. C’est alors que, comme cela arrive dans beaucoup de collectifs, au fur et à mesure qu’avance le spectacle, deux factions se crées : celle de ceux qui ont parlé et celle de ceux qui désirent le faire mais ne trouvent pas le moment. La pièce devrait durer des journées entières, des semaines, au lieu des brèves quatre-vingts minutes que dure cette performance.

Vos pièces sont présentées partout en Europe. Les réactions du public changent-t-elles en fonction des lieux et des pays où les performances sont présentés ?

Caelum, non publicum mutant, qui trans mare currunt. (du proverbe latin : Cælum non animum mutant qui trans mare currunt / Courir au-delà des mers, c’est changer de climat, mais non changer de cœur – ndlr)

Le public possède une place centrale dans toutes vos créations : Domini public, Pura coincidencia, Pendiente de Voto, Please Continue : Hamlet…

« Audience not allowed » accueille chaque visiteur en première page du site web de la compagnie. Dans les spectacles que vous citez, le spectateur est invité a se reconnaître comme acteur. Il peux être le figurant qui reste en deuxième plan, ou celui qui ne parle ni bouge pendant toute la pièce, il peut également faire partie du coeur et essayer de ne pas être vu parmi le groupe ou il peut être le protagoniste, mais dans tous les cas il doit se rendre compte qu’il n’est pas invisible et que chacun de ses actes auront des conséquences.

L’Esprit de Groupe est un événement artistique pour une expérience collective, du 17 au 28 mars 2015 à la Villette. Photos : Blenda