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Pierre Pontvianne « Chercher une plénitude dans l’incertain »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 31 août 2021

Pause estivale pour certain·e·s, tournée des festivals pour d’autres, l’été est habituellement l’occasion de faire le bilan de la saison passée. Pour cette cinquième édition des « Entretiens de l’été », nous avons pensé qu’il était essentiel de faire un nouvel état des lieux auprès des artistes, en prenant des nouvelles de celles et ceux qui ont subi la crise sanitaire et ses conséquences de plein fouet. Ces entretiens sont l’occasion d’interroger les enjeux actuels des politiques publiques dans le secteur du spectacle vivant et de voir dans quelles mesures, pour certain·e·s artistes, cette crise a questionné ou déplacé leur travail. Rencontre avec le chorégraphe Pierre Pontvianne.

Depuis plus d’un an, le secteur du spectacle vivant est profondément impacté par la crise sanitaire. En tant qu’artiste, comment vivez-vous cette période ?

Cette crise sanitaire m’impacte encore aujourd’hui, et ce, bien au-delà de mon métier. Elle m’impacte dans mon quotidien, mon rapport aux autres, à la famille, à l’amitié, à l’amour, mon rapport à la consommation, mon rapport au corps, à la santé, mon rapport aux espaces, aux objets et mon rapport au temps. Elle m’impacte psychologiquement et physiquement. Cela a créé en moi un ralentissement général et un état de concentration latent que je tiens, ou qui me tient, je ne sais pas. Je suis concentré pour avancer pas à pas sans me projeter trop loin. De tout petits pas. Honnêtement, aujourd’hui je ne peux pas parler de ce que j’ai vécu car je suis encore en train de le vivre. Je n’ai pas assez de recul. Je crois que ça prendra des années. Le Covid est un révélateur de comportement sociaux, politiques, humains, institutionnels face à une situation générale qui concerne tout le monde… qui concerne le monde.

Cette situation vous a-t-elle permis d’engager de nouvelles réflexions au sein de votre travail ?

Pendant cette période, je me suis investi dans des questions d’organisation du travail. Je me suis questionné sur la façon dont s’organisait le temps des interprètes, les rapports entre les artistes, les techniciens, et tous les protagonistes administratifs… J’ai essayé de mieux comprendre l’investissement personnel que chacun mettait dans les projets que j’initiais. Je me suis aussi à nouveau penché sur des questions concernant les systèmes de production du spectacle vivant, le formatage des œuvres. J’ai personnellement vécu des situations assez troublantes où la détresse de certaines personnes s’est traduite en des comportements d’une grande fragilité. Je me suis moi-même senti fragile. Cette situation m’a poussé à repenser les choses, tenter de faire autrement et essayer de mettre ces réflexions en place dans le contexte du travail. Il s’agit principalement de dialogue, d’écoute et de confiance. C’est aussi peut-être de ne pas laisser les pressions extérieures comme la rentabilité ou une certaine idée du succès influencer la qualité des rapports humains, la qualité du travail au quotidien, et peut-être même la qualité artistique du travail.

Le confinement a automatiquement mis en stand-by vos projets en cours, vos répétitions et vos tournées. Comment ces annulations et reports successifs ont-ils affecté votre travail ?

Ces annulations et reports successifs ont nécessité de penser le temps autrement. Les choses se sont déroulées de manière très étalée dans le temps… avec la conscience que tout pouvait s’arrêter pour des raisons sanitaires. Je dirai que l’échelle de notre activité a changé, nous avons donc changé notre rapport à notre activité… Comment ? En cherchant le plein dans le moins. Des réponses sensibles et assez modestes, qui étaient déjà en place dans la compagnie, ont préparé à la situation qui est survenue. La compagnie Parc existe depuis 2004 et depuis le début nous disons que tout peut s’arrêter du jour au lendemain, que tout peut changer du jour au lendemain. On a toujours été sensible à la recherche d’un équilibre qui réponde à des excès du système, comme l’attente d’un résultat, le respect de diverses contraintes… Pour pouvoir aller au bout de nos idées, de nos convictions, et assumer nos positions politiques ou artistiques, prendre des chemins parallèles sans jamais attendre des jours meilleurs, ni des jours plus difficiles d’ailleurs… rien n’est acquis. Chercher une plénitude dans l’incertain.

Le mouvement d’occupation des théâtres, la réforme de l’assurance-chômage, la prolongation de l’année blanche pour leur régime d’assurance-chômage, etc. : la crise sanitaire a confirmé l’extrême fragilité du secteur du spectacle vivant, et la difficulté de faire face au système institutionnel. Selon vous, ces données permettront-elles à de nouvelles réflexions, de nouveaux systèmes, de nouveaux paradigmes, de voir le jour ?

Cela fait des années que je croise ou traverse des aventures collectives, des projets de mutualisation, des mouvements de solidarité et de regroupement, des tentatives de faire autrement. Cela fait longtemps que nombreux d’entre nous tentons des formes d’alternatives face au système institutionnel. Est-ce que quelque chose de nouveau va émerger après le Covid ? Je ne sais pas. Le statut d’intermittent du spectacle, le modèle de financement, de production et de diffusion des projets est dominant. Il est très difficile de sortir totalement de ces schémas sans se retrouver dans des difficultés de mener à bien les projets. Pour moi, la résistance se fait au niveau du temps. Produire à son rythme, tenter la diffusion d’une œuvre sur plusieurs saisons, être fidèle aux différentes personnes qui s’engagent dans les projets. Mais pour revenir à la question du système institutionnel, nous pouvons critiquer autant qu’on veut la situation que nous traversons, je reste certain que le combat se passe autant dans les changements que nous pouvons opérer dans nos comportements et dans notre rapport à ce qui nous gouverne qu’à la critique et l’attaque du système que l’on subit. On vit dans des sociétés qui disposent de beaucoup d’intelligences, et quasiment tous les problèmes contemporains sont pris en considération par des chercheurs, des spécialistes, des penseurs, des artistes … Pendant que la pandémie occupe encore presque tout l’espace médiatique, émergent des évènements forts comme le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, ou des méga-feux de par le monde… et tant d’autres. Sommes-nous surpris ? Je pense à cette phrase de Georges Didi- Huberman qui dit : « Il n’y pas de meilleure ruse pour les catastrophes que l’apparente normalité du temps qui passe. ». C’est pour ça que la conscience que l’on peut investir dans le travail, dans les relations avec les autres, dans la vie de tous les jours, me semble si importante. Comme si le premier degré d’une catastrophe était notre quotidien le plus banal. Prétendre aller vers le plus grand, élargir sa pensée, critiquer un système, ou analyser les divers mécanismes dans lesquels on se trouve pris sans prendre conscience de notre comportement individuel, de nos possibilités me paraît inévitable… On me dit souvent que ce raisonnement est naïf, je me dis qu’au moins il est nécessaire.

La crise sanitaire a coïncidé avec le processus de création de votre création Percut. Comment cette période a-t-elle affecté le processus ?

Comme je l’ai dit précédemment, le processus de création et de diffusion a suivi son cours, mais d’une autre manière. Les répétitions se sont étalées dans le temps, de manière très découpée, les dates ont été reportées et nous avons parfois joué devant des publics de professionnels ou des jauges réduites. Certaines dates ont été reportées, d’autres pas… J’ai refusé toutes propositions de retransmission du travail sur le web, préférant que les représentations soient reportées, en vrai, au risque qu’elles soient annulées dans le temps, plutôt que de montrer le travail sur un petit écran. Plutôt que de parler de ce que cette période a affecté, je préfère parler ici de ce qu’elle a révélé. J’ai été marqué par la pudeur et la concentration des gens avec qui je travaille, par leur calme et leur résilience, par leur confiance et leur exigence. Il y a eu du commun, un beau commun, un commun rare. Je m’accroche à cette rareté pour le futur… Quel que soit ce futur.

Nous sommes actuellement à quelques jours de la rentrée. Comment s’annoncent les mois à venir ? Comment envisagez-vous la reprise des activités et d’une pratique artistique moins empêchée ?

Je travaille actuellement sur un projet qui s’appelle KERNEL et sur lequel je vais me concentrer jusqu’en décembre. Je travaille avec trois interprètes Jazz Barbé, Lena Pinon Lang et Clément Olivier, et je suis accompagné par Laura Frigato et Pierre Treille. J’ai hâte de retrouver toute l’équipe et de continuer à creuser ce que nous avons amorcé. La rentrée coïncide aussi avec le début de l’association entre la compagnie Parc et l’Atelier de Paris / CDCN pour une durée de 3 ans, une nouvelle aventure ! Le mot reprise me fait aussi penser qu’en couture, la « reprise » signifie réparer un trou. Elle sera peut-être comme ça, la reprise des activités… On réparera des trous.

Photo © Léna Pinon-Lang