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Paula Rosolen « Je vois toujours de la danse dans les activités banales de notre vie quotidienne »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 31 août 2015

Chorégraphe et danseuse allemande, Paula Rosolen a remporté le premier prix du concours Danse Elargie 2014 organisé par le Théâtre de la Ville et le Musée de la Danse. Présenté pour la première fois en France, Aérobics! – Ballet en 3 actes est une pièce pour 7 danseurs qui explorent l’architecture du ballet classique à travers le prisme de la gymnastique aérobic. La pièce est programmé du 2 au 5 septembre au Théâtre des Abesses à Paris.

Votre travail s’applique à rendre visible la danse intrinsèque dans notre culture populaire. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces nouvelles formes d’archivages vivants ?

Je ne travaille pas avec l’objectif de créer un style de mouvement, je préfère utiliser ce qui existe déjà dans l’histoire de la danse : je puise dans des méthodes ou des techniques aussi bien actuelles qu’archaïques. J’utilise des codes qui proviennent aussi bien du ballet classique, de la danse moderne, postmoderne, que de l’expressionnisme allemand ou bien de la danse dite « conceptuelle ».

Dans ma première pièce Die Farce der Suche (2010), le corps de Renate Schottelius (danseuse et chorégraphe allemande qui est partie en exil en Argentine au début des années 1930 et qui est aujourd’hui considérée comme la mère de la danse moderne, ndlr) devenait présent et vivant dans une chorégraphie construite à partir d’archives et d’entrevues réalisées avec ces anciens danseurs et d’anciens partenaires. Les personnes interrogées se remémoraient des fragments chorégraphiques, son ancien pianiste était également là et jouait la musique qu’elle utilisait pendant ses répétitions. Tous les documents trouvés dans les archives à Buenos Aires et Berlin – tels que photos, des articles de journaux, des lettres, des programmes et des vidéos – sont devenus le matériel à la construction de la pièce.

Pour créer Piano Men (2013), j’ai interviewé de nombreux pianistes qui ont accompagné des chorégraphes et des professeurs de danses, certains pendant plus de trente ans. Ils sont de véritables archives vivantes et pourtant leurs connaissances et leurs points de vue sont souvent ignorés. A travers leurs mots et leurs musiques, ils décrivent ce qu’ils ont vu, vécu, expérimenté, et nous mènent à visualiser la danse.

Je souhaite toujours que mon travail atteigne un public plus large qu’un groupe d’érudits du théâtre. Je vois toujours de la danse dans les activités banales de notre vie quotidienne : cette danse n’est pas toujours visible au premier coup d’œil et doit être observée à partir d’un point de vue particulier. Je travaille beaucoup avec la méthode de l’Oral History (collecte et étude de données historiques en utilisant des enregistrements sonores d’entrevues avec des personnes ayant une connaissance personnelle d’événements passés, ndlr)  afin de me rapprocher au plus près des sujets auxquels je m’intéresse.

Comment Aerobics! fait écho à ces recherches ?

L’aérobic est une activé historique et populaire, la plupart des personnes nées dans les années 70 et 80 l’ont probablement expérimentée. C’est un « langage » commun à tous. Néanmoins, les gens l’associent souvent aux émissions sportives diffusées à la télé et aux tenues très « eighties » alors que ce sport est au départ une routine d’entrainement militaire américaine pour la force aérienne des Etats-Unis créée dans les années 60. Il y a également une autre discipline sportive appelé Aerobic Gymnastics ou Sport Aerobics, qui a pour base l’aérobic traditionnel mais avec des mouvements beaucoup plus intenses. Je souhaitais exploiter ce sentiment sous- jacent de compétition et de son potentiel chorégraphique.

Comment est né ce projet ?

Apres Die Farce der Suche et Piano Men, deux spectacles avec deux interprètes, je souhaitais investir le plateau avec un plus grand nombre de danseurs. Cette première expérience fût Libretto (2012), où j’ai travaillé avec cinq danseurs professionnels et quinze amateurs, sur le concept et la structure de la comédie musicale. J’ai commencé à travailler sur Aerobics! après la création de Libretto. J’ai écrit le concept en seulement quelques jours mais cette réflexion n’est pas été le fruit du hasard. Quand j’avais 8-9 ans je suivais des cours de danse, notre professeur de ballet avait loué un studio dans une salle de sport locale et il y avait toujours un cours d’aérobic pour adulte avant le nôtre. J’ai toujours regardé ce cours, assise sur le coté, en attendant, sans jamais oser demander à participer. Je dois dire que j’étais très curieuse.

Quels sont les matériaux à partir desquels vous avez travaillé ?

J’ai d’abord commencé à travailler avec deux interprètes lors d’une résidence dans les ateliers de P.A.R.T.S./Rosas à Bruxelles en 2012. Pendant trois semaines de recherches, j’ai archivé de nombreuses vidéos à partir desquelles j’ai construit un catalogue de mouvements. Mes principales sources vidéo ont bien sûr été des captations de cours d’aérobic mais j’ai également décortiqué de nombreuses vidéos de compétitions de gymnastique aérobic des années 80 et 90, qui se révèlent être très différentes selon les pays dans lesquels elles sont présentées.

Comment ont évolué vos recherches depuis la présentation d’Aérobics! au concours Danse Elargie ?

Après avoir gagné le premier prix de Danse Elargie, je suis partie un mois et demi en Argentine suivre l’entrainement de l’équipe nationale de gymnastique aérobic dirigée par Berchy da Silva. Cette formation comprenait des exercices très intenses d’échauffements et d’étirements que je n’avais jamais exécutés auparavant comme soulever mon propre poids avec des haltères. Ce fut une expérience très difficile mais enrichissante. Comme les autres sports, la gymnastique aérobic est régie par des règles très précises, j’ai découvert de nombreux liens avec la danse et notamment avec les codes du ballet. Les formations dans l’espace, la frontalité des poses… Tout est codifié ! J’ai archivé tout le travail réalisé pendant cette formation et nous avons débuté la création à Rennes au Musée de la Danse avec deux danseurs avant d’entamer une résidence de sept semaines avec sept danseurs à Francfort. Nous avons commencé à travailler à partir de sept mouvements extraits de mes archives. Avec pour seule consigne de respecter une durée précise, les interprètes avaient carte blanche pour les combiner dans l’ordre qu’ils voulaient. Au fil des répétitions, j’ai établi des séquences « de réglage » puis j’ai développé des phrases chorégraphiques en ajoutant des rythmes différents.

La musique des cours d’aérobic est souvent très forte et rythmée, pourquoi avoir choisi de danser en silence ?

Extraire une chose de son contexte d’origine m’intéresse davantage que de recréer une simple copie. La place de la musique est malgré tout très importante dans cette pièce car nous changeons constamment de rythme et de tempo et le battement de nos chaussures contre le sol nous aide à nous synchroniser. Je pense que la musique est distrayante et manipulatrice, ici elle interférerait avec ce que je veux montrer.

Le spectacle a aujourd’hui pour sous-titres « un ballet en 3 actes ».

La notion de ballet est apparu pendant les répétitions, à l’instar d’un guide auquel on s’est référé pour les données d’espace, de temps et pour construire la dramaturgie. Nous avons étudié et comparé plusieurs ballets afin de dégager une structure commune à chacun. Les solos, les duos, les trios et les quatuors s’ajustent comme une partition chorégraphique ou musicale : des répétitions, des accumulations, des contre points, des variations, des canons, des formes binaires, etc. La pièce est entièrement chorégraphiée et ne laisse pas de place à l’improvisation.

Concept et chorégraphie Paula Rosolen. Créé et dansé avec Jungyun Bae, Teresa Forstreuter / Sanna Lundström, Gabriela Gobbi, Christopher Matthews, Marko Milic, Sabine Prokop et Paula Rosolen. Photo Konstantin Lipatov.