Photo PalmParkRuins 6501©Dorothée Thébert Filliger

PALM PARK RUINS, Pamina de Coulon

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 27 février 2020

Entre parole discursive et ​pensées fulgurantes, écouter parler Pamina de Coulon est toujours une expérience stimulante et jubilatoire. Brillante oratrice,​ cette autrice et performeuse élabore depuis maintenant plusieurs années une pratique d’écriture et de parole qui puise sa matière à travers différentes réflexions – philosophique, scientifique, théorique ou poétique, personnelle ou collective – convoquées par les biais de grandes lectures, de lieux communs et d’anecdotes. Troisième opus de sa saga ​FIRE OF EMOTIONS, sa dernière pièce PALM PARK RUINS ​aborde les préoccupations actuelles sur l’environnement et soulève avec intelligence plusieurs ​réflexions autour de l’habitat, de la Nature, de l’industrie et du vivant, en ​interrogeant notre manière de l’habiter et de nous​ l’approprier. ​Rencontre avec l’artiste au Grütli à Genève.

FIRE OF EMOTIONS est une recherche entamée en 2014 et composée aujourd’hui de 3 spectacles : GENESIS, THE ABYSS ​et ​PALM PARK RUINS​. Peux-tu revenir sur la genèse de ce projet ? Comment ces 3 pièces s’articulent-elles, se répondent-elles ?

A cette époque, j’étais en train de finir un master en gestion culturelle à l’ULB à Bruxelles. Mon mémoire portait sur l’organisation du travail des artistes, leur auto-exploitation et j’étais prise dans des réflexions politiques par rapport à la question du temps, notamment le temps de travail. Je me suis rendu compte que le « voyage dans le temps » pouvait être « aussi » intéressant politiquement et j’ai eu envie de faire cette pièce sur le voyage dans le temps. J’ai commencé́ à écrire ​FIRE OF EMOTIONS​, qui est le slogan d’une marque allemande de feux d’artifice. C’était exactement ce qui m’intéressait à ce moment-là : parler du feu des émotions produit par la pensée, mélanger la raison et la passion. Je n’ai pas fait d’études scientifiques et je viens toujours un peu par « les bords » dans les disciplines. Ma porte d’entrée dans la théorie, qu’elle soit politique, esthétique, scientifique, a toujours été celle des émotions, c’est comme ça que je me sens accrochée. C’est cette manière d’envisager le travail qui a guidé ma recherche : mélanger le feu de la théorie et le feu des émotions, se servir de l’un pour alimenter et comprendre l’autre, parler de la science ​dure ​en ce qu’elle a de plus instable et bordélique. Puis rapidement FIRE OF EMOTIONS e​st devenu ​FIRE OF EMOTIONS : GENESIS​. Étant donné que je continue toujours d’écrire, le travail est tout le temps en train d’évoluer et au bout d’un an le spectacle était rallongé de plus de 20 minutes. Je me suis dit qu’il était temps d’écrire la suite plutôt que de grossir celui-ci. A la fin de ​GENESIS, ​je parle d’éprouver une certaine sympathie pour l’ombre, pour ce que l’on ne connaît pas (encore) et ce qu’on ne voit pas. J’ai pris cette idée comme nouveau point de départ et je suis allée voir ce qu’il y avait de méconnu et de chaleureux dans les abysses, ce qui a donné lieu à la pièce ​FIRE OF EMOTIONS : THE ABYSS​. Puis, quelques jours avant la première d’​ABYSS, ​j’ai retiré une partie sur l’habitat, sur l’être nomade ou pas, et une autre partie sur les lieux qui renforcent notre expérience, les paysages comme des endroits où s’inscrivent nos souvenirs. Ces extraits furent la base de départ de ​FIRE OF EMOTIONS : PALM PARK RUINS​. Au final ces trois pièces coulent l’une dans l’autre, et entre deux il y a toujours de plus petites formes qui explorent ce qui est encore resté en suspens…

Cinq ans séparent le premier et dernier opus de cette saga. Comment votre recherche expansive, votre intérêt, votre regard, ont-ils évolué au fur et à mesure de ces pièces ?

Dans ​FIRE OF EMOTIONS : PALM PARK RUINS, ​je parle du vivant d’une manière dont je n’en parle pas du tout dans ​FIRE OF EMOTIONS : GENESIS. ​J’étais plus jeune et je n’avais pas forcément encore le courage de dire certaines choses d’une certaine manière. Mais la pièce a pourtant encore de la force et des choses à dire, sinon je ne la jouerais plus, comme j’ai arrêté de jouer la pièce précédente car je ne suis plus d’accord avec moi-même. Dans ​GENESIS, ​je me suis juste autorisée à réécrire certaines choses que je ne voulais plus dire. Reste un problème : dans cette pièce qui parle beaucoup de physique, je cite environ 80% d’hommes, et ça me rend un peu triste aujourd’hui. Je cite pourtant aussi certaines autrices capitales pour la pièce, et il y a tout un passage sur l’importance des sorcières, mais reste qu’aujourd’hui la disproportion reste dure à avaler pour moi. Mais j’en parle régulièrement avec les spectateur·ices, et puis par exemple dans ​PALM PARK RUINS ​j’ai littéralement inversé la tendance et ne cite pratiquement plus que des femmes car je n’ai lu pratiquement que des femmes en l’écrivant et c’était super. Ainsi le fond et la forme évoluent simultanément, toujours bien tissés ensemble.

Dans un précédent entretien, tu me disais être « restée farouchement transdisciplinaire, en termes de contenu et de méthode surtout. » Tu emploies souvent le terme de « transdisciplinarité » pour défendre ton travail.

Je n’ai jamais été « juste » dans une discipline. Je me suis formée aux arts visuels au lycée, puis j’ai fait un peu de théâtre, pendant un moment j’étais intéressée par le cinéma, par l’histoire, ensuite j’étais au pôle ART ACTION à la HEAD à Genève, où les cours théoriques prenaient aussi leurs racines dans plusieurs disciplines simultanément. C’est lorsque j’ai effectué un master en gestion culturelle et que je suis entrée à l’université que je me suis rendu compte à quel point ces cases étaient présentes parfois, que c’est parfois mal vu ou non-considéré d’aller prendre des références dans d’autres disciplines que la tienne. Ces catégories m’ont toujours paru assez absurdes ainsi, enfermées sur elles-mêmes. Aujourd’hui encore, on me demande régulièrement si je fais du théâtre ou de la performance ou du stand-up, si j’ai fait philo ou science po’. J’ai bien sûr des réponses à ces questions (je fais de la performance, ce sont des ​essais parlés, e​t je n’ai fait ni philo ni science po’), que je peux volontiers argumenter, mais ces divisions ne m’intéressent pas plus que ça : je ne crois pas que ça donne un meilleur accès à ma pratique en tout cas… Je crois que cette « transdisciplinarité » est inhérente à ma recherche – gagnée à force de privilèges et de chance c’est certain – elle me sort des pores de la peau plutôt que je me force à la fabriquer. Je défends souvent par contre la part littéraire dans mon travail. En anglais, il existe le terme ​creative non-fiction q​ui est un genre d’écriture qui utilise et mélange différentes techniques et des styles littéraires, entre l’essai, l’enquête journalistique et la poésie. Et je pense que je fais ça, de la non-fiction creative. Il s’agit d’un mélange d’expériences personnelles ou collectives, d’anecdotes, de grandes lectures, de lieux communs, d’expressions, d’étymologies, de chansons et de toutes ces choses qui nourrissent le fond et la forme de mon travail. Et je crois que ce genre de travail n’est pas (encore) ​conceptualisé ​dans la manière de penser francophone, peut-être que c’est pour cette raison que je cours tellement après ce terme de transdisciplinarité … finalement ?

Ton débit de parole suppose une pensée vivante et mouvante. Dans un précédent entretien, tu me disais avoir « un rapport fort à la scène et au plateau comme lieu de l’énonciation ». Comment traduis-tu cette pensée ? Comment envisages-tu, écris-tu, travailles-tu, la parole ?

Fondamentalement, mon travail, c’est de la recherche. L’espace entre être chercheuse à l’université et chercheuse en arts vivants : elle est peut être là, la fameuse transdisciplinarité. Je lis tout le temps, j’écoute la radio, j’écoute et je discute avec les gens autour de moi, je suis tout le temps sur la route, je contemple, tout ça nourrit constamment ma « boite à outils ». Je n’ai pas de véritable manière de ranger dans ma tête, j’ai la chance d’avoir une vaste mémoire et une pensée arborescente, je mets surtout les choses en liens en les intégrant. Lorsque je lis, parfois il y a des phrases qui émergent, qui sont des fulgurances, et autour desquelles s’agencent plein de choses qui traînaient déjà dans ma tête et qui se cristallisent. Ensuite j’essaye de voir si je peux les dire telles quelles ou alors quelle médiation je dois leur trouver pour qu’elles touchent les personnes hors de ma tête. Je parle vite, c’est comme ça que je m’exprime en général, et c’est aussi sur cette particularité que j’ai basé ma pratique. Si je parlais plus lentement, ça deviendrait un autre type de discours, plus formel, plus dominant aussi. J’ai le sentiment que ce débit de parole – et l’absence quasi totale de pause – permet de s’autoriser à ne pas tout écouter, à s’égarer dans les informations ou mes propres rebondissements, et de revenir à tout moment sans être totalement perdue.

PALM PARK RUINS ​cristallise énormément de réflexions autour de l’environnement, de l’habitat, de l’industrie et du vivant, de l’écologie… Qu’est-ce qui a motivé cette recherche ?

Au tout départ, j’avais donc la question de l’habitat et des paysages. Le jardin cristallisant ces deux questions et étant moi-même une ​jardineuse​, j’ai donc commencé à faire une recherche sur le jardin, sur les jardins à l’anglaise notamment, parce qu’il y a plusieurs historiennes anglaises qui ont écrit de superbes textes sur l’histoire sociale du jardin. Simultanément, je vivais en même temps que nous tou·te·s cette accélération autour des questions environnementales. Et rapidement, c’est sorti des seules ​questions écologiques, pour devenir une urgence qui concerne tout le monde. Je fais du jardin, je suis malade, je lutte contre le nucléaire, j’ai des ami·e·s qui font partie des luttes paysannes qui me parlent de leur travail, et surtout je suis beaucoup sur la route et donc je vois tout ce que la plupart ne voient pas souvent : les kilomètres de hangars, les champs énormes sans insecte, les usines gigantesques quasi-militarisées, etc. . C’était impossible que tout cela ne vienne pas s’infuser dans cette recherche initiale sur le jardin. On enferme beaucoup ​PALM PARK RUINS ​dans une « case écologiste » et je ne comprends pas pourquoi. Ou peut-être que je fais exprès de ne pas vouloir comprendre. Après la création de la pièce en septembre dernier à l’Arsenic à Lausanne, le mot écologie revenait toujours dans la bouche des gens, certain·e·s journalistes ont même écrit que c’était une pièce « sur l’écologie ». Et ça m’a ennuyé car encore une fois j’ai eu l’impression qu’on enfermait mon travail et cette recherche dans une case. Je ne suis absolument pas « passionnée » par l’écologie comme on a pu le prétendre, je suis seulement très inquiète et très en colère par tout ce que je peux voir autour de moi. On ne disait pas de ma précédente pièce ​THE ABYSS ​que c’était une pièce anarco-autonome alors que j’y fais l’apologie du black bloc. Il suffit de parler de plantes et de pollution pour qu’on se retrouve l’étiquette écologie ​collée dans le dos​, e​n soi ce n’est pas grave mais ça m’inquiète qu’on s’arrête là. Je me suis rendu compte que dans les médias, on ne parlait que des effets de l’urgence climatique (que j’appelle « terre morte – eau morte » dans le spectacle, selon l’expression de Saskia Sassen), de tout ce qui est déjà mort, déjà parti, déjà foutu ou presque, ce qui ne crée qu’un sentiment d’impuissance. Je choisis alors de parler de ces conséquences en les reliant à leurs causes, et de proposer des prises auxquelles s’agripper afin de faire face à ces causes, face à la violence industrielle du capitalisme globalisé qui nous a tant éloigné des processus qui servent à nous nourrir, et ainsi à nous défendre.

Nous pouvons d’ailleurs constater que ces réflexions, au sens large, sont très présentes sur les scènes actuellement.

Effectivement, c’est « de rigueur », aussi bien chez les artistes que dans les programmes. Cependant ce type de réflexions étaie déjà aux cœur du travail de nombreuses femmes artistes des années 60-70, bien avant que ce soit une mode ou une urgence si vitale. Ces dernières années, on a pu aussi voir de nombreux spectacles sur les technologies, et il y a eu aussi beaucoup de spectacles sur l’immigration, c’est rassurant quand même, c’est aussi une manière de parler de notre environnement, de ce milieu dans lequel on vit et on est affecté·es. Toutefois j’ai reçu la saison dernière un programme de festival et dans l’édito il y avait tous les termes que j’allais utiliser dans PALM PARK RUINS. Je me suis alors faite la réflexion que je faisais la même pièce que tout le monde et je me suis demandée pourquoi et quelles allaient être les différences ? En fait, je ne parle pas plus de végétaux que d’êtres humains, et surtout de nos cohabitations délicates mais joyeuses et vitales, je thématise le mélange. C’est ce que j’appelle la friction. J’ai l’impression que c’est ici ma spécificité par rapport à d’autres pièces ou projets que j’ai vus. Certain·e·s prennent ces thématiques « écologistes » comme sujets de leurs œuvres, alors que pour moi le sujet est l’habitat au sens de « là où l’on se fait une vie ». Et que les thématiques viennent l’étayer. Se sentir concernée est un noeud capital dans la manière que j’ai d’envisager le travail, se sentir partie intégrante de l’environnement, se sentir appartenir à un milieu et que ce milieu vit aussi grâce à nous, sentir qu’on est dans cette boucle, qu’elle nous rend plus petit·e·s, plus mélangé·e·s et c’est ça qui aide à vivre ! Je crois fort en l’écologie sociale et politique et je m’efforce à créer des conditions de travail non seulement vivables, mais si possible agréables pour mes collaboratrices et moi-même, déjà de ne pas faire des voyages absurdes et de bien manger, mais au-delà de cela, de considérer un peu ce que l’on fait et comment on le fait, oser questionner les tendances et les injonctions. Je n’essaye pas d’être irréprochable mais juste d’être en adéquation avec tout ce que je peux dire et défendre dans mes pièces. C’est la moindre des choses pour se sentir entière! L’organisation sociale du travail est pour moi un enjeu majeur. Ça serait vraiment bizarre de faire des pièces sur comment ​la terre va mal​ et de ne jamais questionner les conditions et les normes qui nous ont justement amené·e·s là où on est aujourd’hui. Je me dis par exemple que ça va pas de continuer à aller présenter des spectacles dans des lieux culturels où la plupart des employé·e·s sont en burn out sans questionner cela, sans l’aborder d’une manière où d’une autre, de continuer à faire comme si ça ne « me concernait pas » justement. Il y de réels paradoxes entre l’image que se donnent certains lieux et ce qui se passe réellement à l’intérieur des bureaux, au sein des équipes de travail. C’est délicat, c’est certain, on ne sait pas comment faire ! Mais ce n’est pas une raison pour ne pas faire, et je pense que parfois ce n’est pas qu’hypocrite, peut-être que les multiples programmes qui se positionnent contre le capitalisme et pour le soin par exemple sont plutôt des sortes d’appel à l’aide. Il va falloir s’y atteler, ensemble. Heureusement je ne suis pas seule de cet avis, et de loin : le centre d’art BUDA à Courtrai avait organisé́ il y a quelques années une rencontre de plusieurs jours intitulée ​The Fantastic Institution ​qui thématisait cette idée. C’est aussi pour ça que ma compagnie s’appelle BONNE AMBIANCE, c’est pour afficher très fort notre philosophie de travail, d’abord ça fait sourire les gens, après j’explique, et ensuite quand on s’en va et que souvent on nous dit : c’était la BONNE AMBIANCE en tout cas, ça confirme que le langage est incantatoire et qu’on peut aider à penser les choses en choisissant les bons mots pour les dire !

Tu me disais dans un précédent entretien qu’en ce moment, te touchaient et te semblaient « désirable et importantes » les propositions « militantes et situées » dans le théâtre aujourd’hui. Tes recherches et tes spectacles portent en eux une forme de parole politique ou militante…

Oui tout à fait. Je considère que mon travail est militant. Ma recherche se fait toujours à travers un prisme de lecture politique, au sens large : prendre en compte les dynamiques sociales de notre société́. Ce qui rend mes propos engagés est sûrement que je parle de mes sujets de manière partisane et ce qui caractérise la parole militante est justement cette subjectivité. J’essaye de partager des savoir et des réflexions pour les rendre plus accessibles, d’expliciter des lieux communs, d’ouvrir de nouvelles passerelles entre des choses. Par exemple dans ​THE ABYSS ​lorsque je parle du ​black bloc​, je parle des luttes autonomistes allemandes d’où elles viennent historiquement, de comment elles se mettent en place, qu’elles sont plutôt une tactique qu’un réel mouvement. Je n’aborde pas ces sujets pour convaincre le public, mais pour parler de problématiques par le biais de mes pièces, qui ne sont pratiquement jamais présentées dans les médias. Et pour thématiser cette violence dont on parle si facilement sans jamais se demander pourquoi ou à quelles fins. J’analyse juste la manière dont les gens en parlent et je propose d’autres clés de lecture. Je n’ai aucun problème à dire que c’est un travail politique, militant ou engagé. Je suis devenue artiste un peu par défaut, beaucoup par chance, je ne vois pas d’autres endroits où j’aurais pu faire ce que je fais aujourd’hui, avec autant de capillarité entre les disciplines et les sujets. Par contre, être artiste ne fait pas de moi quelqu’un de militant. Je participe à plusieurs luttes en faveur de plusieurs causes et je n’ai pas besoin d’y aller toujours ​avec mon travail​, j’y vais aussi simplement, en essayant d’avoir une place moins prédominante que dans d’autres endroits où je peux être. Je ne suis pas politicienne car je n’ai pas beaucoup d’intérêt à être dans le système politique dans la manière dont il est mis en place et je ne pense pas que j’arriverais à être mieux que les autres à l’intérieur de ce système. Par contre, honnêtement ça m’intéresse plus d’user de mon éloquence pour parler aux gens qui sont dans les théâtres par exemple ; la scène comme lieu d’énonciation – on en parlait tout à l’heure – est un endroit où je peux articuler et proposer d’autres idées, essayer d’autres formes de solidarités collectives.

Ce que tu viens de dire me permet de faire une transition avec les banderoles, cet objet politique et symbolique qui apparaît systématiquement dans ton travail. Qu’est-ce qui t’intéresse dans cet objet en particulier ? Quels sont les enjeux de le déplacer hors du cadre de la manifestation ?

Ah, les banderoles… Je ne sais pas trop dire comment c’est venu… C’est vrai que j’en ai toujours utilisé dans mes pièces, dès mon entrée aux Beaux-arts. C’est cet objet phare du militantisme qui permet de rendre visible et de ​fixer (m​momentanément) une parole qu’on veut exprimer. C’est ça que j’aime je crois, cette force de s’inscrire directement dans la situation. D’ailleurs dans les archives de manifestation, les banderoles deviennent presque toujours les légendes des photographies. La différence claire que tu peux voir entre les banderoles d’occupation de lieux ou de piquets de grève et les miennes c’est que généralement ce sont des slogans qui sont hyper contextualisés, qui expriment un désir et un besoin fort de la situation. Une fois que tu as les clefs de la situation tu peux les comprendre… Alors que celles que je dessine ce sont généralement des phrases que je pioche dans des livres, qui viennent de différentes formes de discours mais qui n’ont jamais été dans la rue, qui n’ont jamais été scandées ou revendiquées. Ce sont des citations de Marguerite Duras, de Tolkien, de Rebecca Solnit, de Donna Haraway etc., qui je trouve fonctionnent extrêmement bien comme des slogans, prennent une dimension politique évidente à travers ce support-là. Elles restent ensuite comme des sur-titres pendant que je continue à parler, ce sont les principales choses que j’écris pour être lues et non pour être entendues.

Vu au Grütli à Genève. Conception et interprétation Pamina de Coulon, lumière et régie Alice Dussart et Vincent Tandonnet, scénographie Pamina de Coulon, Goupie Goupek. Photo © Dorothée Thébert Filliger.