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Marlène Saldana « L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 1 août 2017

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figure établie ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêtée au jeu des questions réponses. Ici la danseuse, comédienne et metteuse en scène Marlène Saldana. 

Interprète notoire pour Yves-Noël Genod ou Christophe Honoré, nous avons pu voir Marlène Saldana cette saison dans les dernières créations de la compagnie du Zerep et du chorégraphe Boris Charmatz. Elle co-signe avec Jonathan Drillet (ils forment ensemble le duo The United Patriotic Squadrons of Blessed Diana) Le Sacre du printemps arabe, nouvelle création présentée en février dernier au Centre national de la danse à Pantin.

Quel est votre premier souvenir de danse ?

Le spectacle de l’école maternelle de Ternay, j’étais une jardinière qui arrosait du papier crépon en forme de fleur.

Quels sont les spectacles qui vous ont le plus marquée en tant que spectatrice ? 

Purgatorio (2008) de Romeo Castellucci : magnifique, horrible, glaçant, réaliste, magique, la totale. Tambours sur la digue (1999) d’Ariane Mnouchkine : je crois que c’était la première fois que je pleurais au théâtre. enfant (2011) de Boris Charmatz, le moment où les enfants envahissent la scène de la Cour d’honneur du palais des Papes. La résistible ascension d’Arturo Ui mise en scène par Heiner Müller (en 1996) avec le Berliner Ensemble au Théâtre National Populaire de Villeurbanne : j’avais quinze ans, et voir jouer Martin Wuttke m’a profondément marquée. Winch Only (2006) de Christophe Marthaler, parce que c’est le premier spectacle de Marthaler que j’ai vu : une joie immense. Paradis (2004) de Pascal Rambert, la salle se vidait et moi j´étais si émue par ce que je voyais : incompréhension totale ! Angels in America (2007) mis en scène par Krzysztof Warlikowski : pour le plaisir de la virtuosité des acteurs.

Quel est votre souvenir le plus intense en tant qu’interprète ?

On jouait dans un château pour Yves-Noel Genod. Avec Gianfranco Poddighe on devait jouer une scène de Phèdre je crois, ou Andromaque je sais plus. L’idée était de marcher sur une sorte d’arête, très peu large, le long d’un des murs du château. C’était à au moins sept mètres de haut, et j’ai affreusement le vertige. J’en ai fait des cauchemars des jours mais le jour J, je pense que je n’ai jamais aussi bien joué la tragédie : c’était horrible et merveilleux, j´avais tellement peur ! Les premières de danse de nuit de Boris Charmatz, le spectacle le plus difficile physiquement que j’ai jamais fait. Maintenant ça va mieux, mais au début je manquais de m’évanouir une fois sur deux ! J’ai également fait de la figuration dansée dans l’opéra La Flûte enchantée mis en scène par Krystian Lupa (2006), être sur scène avec un orchestre symphonique et des chanteurs lyriques, c’est un souvenir de puissance insensée.

Quelle collaboration artistique a été la plus importante dans votre parcours ? 

J’ai fait un stage avec Edward Bond en 2005 et tout a changé : ma manière d’être sur scène, de penser, de me tenir, de travailler, même mes envies. J’ai eu besoin de correspondre avec lui assez longtemps après, c’est un homme délicieux, très disponible et extrêmement drôle.

Quelles oeuvres composent votre panthéon personnel ?

May B (1981) de Maguy Marin, Purgatorio (2008) de Romeo Castellucci, La classe morte (1975) de Tadeusz Kantor, Enjambe Charles (2013) de Sophie Perez et Xavier Boussiron, L’inspecteur général (Le revizor) (1999) de Matthias Langhoff, Pension Schöller : die Schlacht (1995) mis en scène par Frank Castorf, La Danse du lion dans les spectacles de Kabuki, Les danses animalières de Joséphine Baker, A night Journey (1947) de Martha Graham, toute l’œuvre de Bob Fosse, Hate Radio (2013) de Milo Rau, la performance Milk and cookies (1979) d’Andy Kaufmann, un show de Liberace, Le Sacre du Printemps (1913) de Vaslav Nijinski, Le Jeune Homme et la Mort de Roland Petit interprété par Rudolf Nureyev e Zizi Jeanmaire, Le Grand Macabre mis en scène par la Fura dels Baus, La Cage aux folles (1973) avec Jean Poiret et Michel Serrault, Telefavela (Zeltsaga) (2005) mis en scène par René Pollesch.

Quels sont les enjeux du théâtre aujourd’hui ?

It isn’t especially important if all we’re doing is dancing forever on the edge of the abyss. (Ce n’est pas particulièrement important, si tout ce qu’on fait c’est danser au bord du gouffre pour toujours) C’est de l’écrivain Michael Moorcock.

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

Je vais encore une fois citer Nietzsche, mais c’est pour moi la meilleure définition du rôle de l’art : L’art nous est donné pour nous empêcher de mourir de la vérité. On pourrait dire la même chose du rire.

Photo © Philippe Lebruman