Photo Martin Argyroglo

Maud Le Pladec « Nous avons une forme d’utopie commune »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 18 juillet 2017

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figure établie ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêtée au jeu des questions réponses. Ici, la danseuse et chorégraphe Maud Pladec.

Saison intense pour la chorégraphe Maud Le Pladec, nouvelle directrice du Centre Chorégraphique National d’Orléans. Après avoir signé la chorégraphie de l’opéra Eliogabalo mis en scène par Thomas Jolly au Palais Garnier, nous avons pu la voir avec l’écrivain Pierre Ducrozet dans Je n’ai jamais eu envie de disparaître au festival Concordanse, et dans sa nouvelle création Moto-cross. Elle présentera cette été Grensgeval (Borderline) avec le metteur en scène Guy Cassiers au Festival d’Avignon et figure comme interprète dans 10000 gestes, nouvelle création de Boris Charmatz.

Quel est votre premier souvenir de danse ?

J’ai un souvenir très précis de la scène où Mikhaïl Baryshnikov danse avec Gregory Hines dans White Nights. C’est une scène où les deux protagonistes du film se rencontrent dans un pas de deux de « tap dance », sur la musique Prove Me Wrong de David Pack. Ce film date de 1985, c’est aussi l’époque pendant laquelle j’ai découvert les films de Bob Fosse et les comédies musicales américaines. J’avais 9 ans, je pratiquais la danse jazz avec des puristes de la méthode Matt Mattox. J’étais fascinée par la danse américaine, les clips, Broadway…

Quels sont les spectacles qui vous ont le plus marquée en tant que spectatrice ?

Violet (2011) de Meg Stuart, Con forts fleuve (1999) de Boris Charmatz, Les lieux de là (1998) de Mathilde Monnier, Interior drama (1977) de Lucinda Childs, Still life (2003) de Franko B, Five Easy Pieces (2016) de Milo Rau, As it empties out (2013) de Jefta van Dinfter, Not about everything (2007) de Daniel Linehan, 33 tours et quelques secondes (2012) de Lina Saneh et Rabih Mroué…

Quel est le souvenir le plus intense en tant qu’interprète ?

L’expérience d’enfant (2011) de Boris Charmatz, avec une trentaine d’enfants dans la Cour d’honneur d’Avignon. Intense, Inoubliable !

Quelles rencontres artistiques ont été les plus importantes dans votre parcours ?

Mathilde Monnier qui m’a formée et avec qui j’ai dansé plus tard. Loïc Touzé avec qui j’ai le plus appris. Puis, si je devais choisir, je dirais que Boris Charmatz, Guy Cassiers et l’ensemble Ictus sont les rencontres les plus marquantes de mon parcours. Boris, chorégraphe et ami avec qui je danse (et continue de danser) depuis presque neuf ans maintenant. L’ensemble Ictus qui devient un partenaire fidèle et irremplaçable dans mon travail. Et Guy Cassiers avec qui j’ai partagé, pour le moment, les plus beaux projets de collaboration en tant que chorégraphe.

Quelles oeuvres composent votre panthéon personnel ?

Einstein on the Beach (1976) de Bob Wilson, Luncinda Childs et Philip Glass, Trio A (1966) d’Yvonne Rainer, Set and Reset (1983) de Trisha Brown, Alien/Action (1992) de Willian Forsythe, Turtle Dreams (1983) de Meredith Monk, Bloed and rosen (2011) de Guy Cassiers, Beach Birds (1991) et Biped (1999) de Merce Cunningham, Fase (1982) d’Anne Teresa de Keersmaeker… Que des grands classiques !

À vos yeux, quels sont les enjeux de la danse aujourd’hui ?

Qu’elle se manifeste partout, par et pour elle-même. Qu’elle ouvre son champs d’exploration et de questions aux autres arts. Qu’elle continue d’entrer et de s’imposer dans l’histoire en tant qu’art majeur. Mais surtout, elle a un autre dessein, bien moins lié aux enjeux esthétiques que je nomme là : la danse est une pratique de soi qui permet d’avoir accès à une vision élargie du monde, c’est un art qui contient dans son ADN empathie et curiosité : curiosité de l’autre, du corps de l’autre et du monde qui l’habite. La danse nous fait sortir de nous-même pour revenir à soi « changé », « bougé », « transformé »…

Quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

Chercher un rôle à l’artiste dans la société demande déjà à interroger un pré-requis : quelle société ? Chercher un rôle à l’artiste dans notre société française ne cache-t-il pas une question beaucoup plus triviale en lien à notre société où tout doit être justifié ? Comment l’artiste peut-il justifier sa demande de pitance, son droit d’existence ? Je veux dire son droit d’exister honorablement alors que 80% des artistes peinent à survivre et que « 4% de la population » s’intéresse à l’art. On nous pose souvent cette question et y répondre me semble important. Même si finalement je pense, qu’en dépit de la responsabilité que nous avons aujourd’hui en tant qu’artiste et directrice.ur d’institutions dites culturelles, ce serait plus intéressant de poser cette question à nos concitoyens. Quelle place veut-on donner à l’art aujourd’hui ? Quelle place pour l’utopie dans notre société actuelle ? Wajdi Mouawad, lors d’un entretien, a très bien répondu à cette question. Sans vouloir prononcer ses mots à sa place, je m’appuierai tout de même sur ce qu’il a dit. Car je pense, qu’au delà de nos différences, de nos histoires, de nos parcours, nous avons une forme d’utopie commune : un artiste est là pour « déranger, inquiéter, remettre en question, déplacer, faire voir, faire entendre le monde dans lequel il vit, et ce, en utilisant tous les moyens à sa disposition ». C’est aussi simple que cela.

Photo © Martin Argyroglo