Photo Philippe Lebruman

Laetitia Dosch « La joie est une force d’action très importante »

Propos recueillis par François Maurisse

Publié le 27 août 2017

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figure établie ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêtée au jeu des questions réponses. Ici Laetitia Dosch.

Formée en France (classe libre du Cours Florent) et en Suisse (la Manufacture à Lausanne), Laetitia Dosch est comédienne pour le théâtre et collabore à des spectacles chorégraphiques (auprès de La Ribot ou Marco Berrettini, notamment). En tant que metteuse en scène, elle signe Laetitia fait péter en 2013 avec Anne Steffens, Klein en 2014 avec Patrick Laffont, puis Un Album en 2015, avec Yuval Rozman. L’automne prochain, sortira en salles Jeune Femme de Léonor Serraille, qui a reçu le prix de la caméra d’or au dernier Festival de Cannes, dans lequel elle a le rôle titre. Elle prépare actuellement sa prochaine création Hate, un duo avec un cheval, qui verra le jour en juin 2018 au Théâtre Vidy-Lausanne.

Quel est votre premier souvenir de théâtre ?

Comme pour beaucoup de personnes, c’était un Molière, L’Avare, que nous étions allés voir avec l’école. Je me souviens du bazar dans la salle, les élèves se lançant des projectiles, tout le monde rigolant, et autant maintenant je comprendrais mieux le désarroi des acteurs, autant à l’époque je me demandais déjà comment on pouvait nous faire subir ça, un spectacle aussi ennuyeux, comme beaucoup de collégiens qui étaient présents ce jour là. On se révoltait du temps qui nous était pris pour rien, alors qu’on prenait pourtant beaucoup de plaisir à l’étudier et à le jouer en classe. Ça reste une grande question pour moi : Molière est quand même un auteur majeur, profond, comment le rendre accessible, comment créer un pont avec les jeunes générations?

Quels sont les spectacles qui vous ont le plus marquée, en tant que spectatrice ? 

Café Müller (1978) et d’autres pièces de Pina Bausch que Sandrine Kuster (directrice de structure et responsable théâtrale suisse, ndlr) nous montrait en cours à la Manufacture, sur de vieilles VHS. On rentrait dans l’esthétique, ce qui nous faisait sentir le propos derrière plutôt que de le comprendre intellectuellement. On ne voyait pas la Shoah par exemple, mais l’atmosphère faisait sentir une époque qui s’est bâtie sur des meurtres, sur l’horreur, et ça restait quand même poétique, comme dans un rêve. Je sais qu’il n’a pas forcément bonne presse en ce moment, mais le Tristan et Isolde d’Olivier Py à l’Opéra de Genève, en 2005, avait des qualités très similaires et m’a laissé une impression très forte. Les pièces distinguées (1993-2016) de La Ribot, pour le lien aux objets, le mélange dans l’espace entre le spectateurs et elle-même, la fantaisie mêlée au discours très complexe sur le corps féminin et sa nudité…

Quels sont vos souvenirs les plus intenses en tant qu’interprète ?

Être dans la foule le jour des élections de 2012, devant le siège du Parti Socialiste à Solférino, la fiction qui se mêle à la réalité, et il faut jouer son personnage et l’histoire tout en intégrant ce que font les dix-mille personnes autour. Une représentation de Laetitia fait péter aux Urbaines à Lausanne en 2010, ou un spectateur insupporté s’est levé en disant « je suis juif, handicapé, j’ai le SIDA et je m’en vais », j’ai dit « on l’applaudit bien fort ! », toute la salle a applaudi, il s’est trompé de sortie et est resté bloqué. Un moment de décadence totale.

Quelle rencontre artistique a été la plus importante dans votre parcours ? 

Marco Berrettini, que j’ai connu à l’école. C’était mon prof et il m’a encouragé à trouver beaucoup de liberté, basée sur des lectures de textes philosophiques. Il fallait réfléchir et être fantaisiste. Leonor Seraille, réalisatrice de Jeune Femme, qui en plus d’avoir écrit un scénario très profond et très fin, m’a fait confiance, et avec qui on a construit le personnage pendant le mois précédent le tournage. Une relation riche. Yuval Rozman, metteur en scène patient et sensible, sans qui je n’aurais jamais réussi à construire mon Album.

À vos yeux, quels sont les enjeux du spectacle vivant aujourd’hui ?

Il y en a plein de différents, ce qui est important c’est que les enjeux soient très différents selon les pièces, qu’il n’y ait pas de règles. Rien de cohérent, du nouveau, du vieux, que les pièces ne se ressemblent pas. Je me méfie par contre beaucoup de la moralisation, de la culpabilisation et de la tristesse obligées, qu’on voit beaucoup dans les pièces en ce moment. On nous montre beaucoup de choses tristes, dans une esthétique triste, sur des sujets politiques desquels on ne fait pas grand chose artistiquement. Je ne dis pas qu’on ne peut pas traiter de sujets brulants de l’actualité d’en ce moment, je dis qu’il faut trouver comment les traiter pour que ça devienne une oeuvre d’art, et que pour l’instant je ne suis pas convaincue par ce que je vois.

Personnellement, je pense que la joie est une force d’action très importante, politique. Comme l’imagination. Ces deux choses n’ont rien pour moi de superficiel. Mettre des choses sur scènes qui ne pourraient pas être réelles, c’est faire travailler l’imagination du spectateur. Quelqu’un qui muscle son imagination est très puissant, parce que c’est quelqu’un qui peut avoir des rêves, qu’il pourra ensuite peut-être transformer en du réel, faire exister quelque chose qui n’existe pas encore. En ce qui me concerne j’aimerais beaucoup que les spectateurs aient à réfléchir pendant la pièce, et qu’ils en sortent avec de la force. Peut-être que ça ait pansé et libéré quelque chose chez eux.

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

C’est important qu’il n’y ait pas de règles encore une fois. Juste peut-être de suivre ce qu’il a vraiment besoin de faire, et ne pas se laisser trop bouffer par le marché, ne pas faire des « produits ». C’est déjà très compliqué parce qu’en même temps, il faut parler à des spectateurs sans les exclure non plus. Une pièce, c’est un dialogue avec des gens qu’on ne connait pas. Mais il faut que ce soit un vrai dialogue, intime, pas leur dire ce qu’ils veulent entendre.

Photo © Philippe Lebruman