Photo marlon

Aude Lachaise « La danse est ouverte, très poreuse, et c’est de là que je viens. »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 19 mai 2015

Formée au sein d’e.x.e.r.c.e. au Centre Chorégraphique National de Montpellier, Aude Lachaise a été interprète pour Eszter Salamon, Robyn Orlin, Félix Rückert, Nathalie Pernette ou Olga Mesa et a également créé un « girls-band » performatif avec Maeva Cunci, Virginie Thomas et Pauline Curnier-Jardin « Les Vraoums ». Depuis son tout premier solo Marlon (que nous avions vu au Nouveau festival au Centre Pompidou en mai dernier), elle n’a cessé de construire des liens entre l’écriture et le mouvement. Aude Lachaise a accepté de revenir sur son parcours.

Vous avez créé Marlon en 2008, qu’est-ce qui vous a motivé, à l’époque, dans la création de ce premier solo ?

La frustration, je suppose. Quand je parle de la frustration, il ne s’agit pas de mon ennemie jurée, mais plutôt d’une présence dont je suis habituée et avec laquelle je parviens à m’amuser. Je ne m’attends pas à vivre sans elle. Comme danseuse, je n’ai pas vraiment connu les expériences que je voulais. Il y a beaucoup de choses que j’aurais aimé faire, beaucoup de gens avec lesquels j’aurais aimé travailler et ça ne s’est pas passé. J’ai créé Marlon en 2008, quand j’ai trouvé un partenaire pour montrer la pièce, en l’occurrence le Point Éphémère. Le processus s’est enclenché quatre ans plus tôt à la mort de Marlon. Cela a correspondu à une conjonction d’événements dont notamment ma rencontre avec le metteur en scène Jan Ritsema. J’ai fait un stage avec lui, j’ai commencé à parler de Marlon que j’avais découvert par hasard à la télévision dans L’homme à la peau de serpent. J’ai senti que je tenais quelque chose et Jan aussi. Il m’a encouragé. Je voulais commencer à faire mon propre travail mais je ne trouvais pas le sujet, l’amorce… C’est très important le sujet, l’amorce. En terme de forme, je n’avais aucune idée préconçue. J’aime bien découvrir « le cheval caché dans le marbre ». Ce que j’ai découvert avec Marlon, c’est le plaisir d’écrire. Je me dis très souvent que je ne choisis pas les pièces que je fais mais plutôt que je les découvre.

Marlon, La fille avec Michaël Allibert, Les Vraoums, Naufrage… Vos projets ont pour particularité d’être toujours à la frontière de la conférence et de la danse.

C’est drôle ce que vous dites, je me suis fait la réflexion il y a peu de temps que je n’appréciais guère les conférences dansées… Alors je ne sais pas trop quoi dire. Il y a certes dans la conférence une parole directe et l’exposition d’une ou plusieurs pensées, de théorie peut-être, que l’on peut retrouver dans Marlon, c’est vrai. Mais j’associe la conférence surtout à un dispositif et à certains codes : table, chaise, micro éventuellement, etc. Globalement je suis très méfiante quand il s’agit de définir mon travail, je n’aime pas le faire mais je comprends que c’est nécessaire pour communiquer. « Conférence dansée » est un terme qui a été parfois utilisé, avec mon accord, pour communiquer autour de Marlon, mais souvent accolé avec d’autres termes comme monologue ou one woman show. Ça floute un peu la définition. J’aime beaucoup l’ambiguïté. Je la trouve juste, elle permet d’appréhender la complexité des choses, du monde, et de mon travail j’espère.

Le dispositif brouille en effet les pistes, la parole est ici aussi importante que le mouvement.

Les dispositifs protègent, et nous avons besoin de protection – je ne dis pas le contraire – mais dans Marlon, je suis sans filet. Je ne suis pas dans la position d’autorité de « celle qui sait », ce qui est, je crois, le propre de la conférence. La fille et Naufrage se rattachent plutôt au conte, je prends la position du narrateur d’une histoire. Le collectif Les Vraoums, c’est encore tout autre chose : ce travail avec Virginie Thomas, Pauline Curnier-Jardin et Maeva Cunci est né d’une envie de « groupe de musique », de girlsband. La forme est plutôt celle du concert ou du cabaret. La danse, c’est ma culture du théâtre. La danse a formé mon imaginaire du spectacle vivant. Ce qui est épatant, dans la danse, c’est son hospitalité : art plastique, performance, théâtralité, mathématique… la danse est ouverte, très poreuse, et c’est de là que je viens. Même si mes propositions ne sont pas toujours très dansées, elles sont toujours en relation avec elle, c’est toujours avec elle que je suis en discussion.

De la page blanche aux salles de répétition, j’imagine que votre processus de création mêle recherche chorégraphique et période d’écriture. Comment travaillez-vous ?

Pour l’instant, cela fonctionne par va et vient entre l’improvisation en studio – improvisation dans laquelle la parole apparait très souvent – puis une réécriture à la table et, à nouveau, une re-validation par la pratique du studio, etc. Je suis souvent seule dans le studio, et le studio m’intimide beaucoup. C’est difficile pour moi de danser, de faire des propositions physiques sans être regardée. La parole est plus facile car elle est connectée à mon flux de pensée et ce flux est intarissable. J’ai du mal à mettre en scène, ou interpréter des textes que je n’ai pas d’abord écrit. C’est le cas dans la pièce La Fille : je ne suis pas comédienne et je n’ai pas forcément de vision de comment un texte préexistant doit ou peut être monté. La présence et les propositions de Michaël Allibert ont rendu cela possible.

Dans votre prochaine création, En Souvenir de l’indien, vous continuez d’explorer les relations possibles entre texte et danse. Quels sont les enjeux de cette nouvelle pièce ?

Sur scène, j’ai une approche très empirique de la parole. Dans Marlon, JE parle – grosso modo – JE parle au public. En tous cas, le personnage qui prend la parole sur le plateau me ressemble beaucoup et cette exposition est parfois asséchante. Avec En Souvenir de l’indien, j’ai envie de faire les choses différemment et d’essayer de nouvelles manières de transmettre le texte. Je cherche une sorte de filtre. Je nourris l’interprète que je suis en lui proposant d’autres expériences. Il me manque certaines techniques, mon jeu d’acteur est donc très intuitif : chanter le texte me semble être un bon compromis, une bonne passerelle entre la danse et le théâtre. Je ne voulais pas être seule avec le public, je me suis donc entourée de collaborateurs : deux autres comédiens/danseurs, un musicien et un scénographe. J’avais envie de multiplier les interlocuteurs : ne pas m’adresser qu’au public. Je cherche une homogénéité dans mes spectacles, que tout semble fait du même bois. Contrairement au solo Marlon, je souhaite ici que la danse s’émancipe davantage du texte, qu’elle est une identité, une existence propre, tout en cohabitant avec le texte

Photo © Jérôme Delatour