Photo © Atmen

Françoise Tartinville, Collage

Propos recueillis par Claire Astier

Publié le 7 mai 2021

Françoise Tartinville est devenue chorégraphe après un parcours de formation en histoire de l’art. Fruit de cet éclectisme, sa dernière création, Collage, rassemble plusieurs disciplines : danse, sculpture et vidéo et a pris corps lors de la crise sanitaire. En s’adaptant à cette période si particulière, la chorégraphe a pu changer ses modalités de travail et sortir d’une urgence à créer afin de renouer avec une méthodologie de travail plus intuitive, affranchie de certaines contingences liées aux process de production à l’œuvre dans le milieu du spectacle vivant. Collage remet en jeu les intérêts de Françoise Tartinville pour la généalogie des représentations entrées dans notre gestuelle quotidienne par un jeu d’emprunts et de réappropriations au fil du temps. Les trois interprètes de Collage, Marie Barthélémy, Olivia Caillaud, Carole Quettier, se mesurent ainsi à la statuaire classique, point de départ de cette réflexion. François Tartinville revient sur ce moment de gestation de Collage.

Quelle a été la genèse de cette nouvelle création Collage ?

Nous avons assez rapidement mis sur pied cette création puisque nous avons commencé à travailler avec les danseuses en décembre 2020. Dès le mois de juin, j’ai effectué un travail de recherches assez poussé, ce qui m’a permis d’avoir une base très précise lorsque nous sommes entrées en studio avec les danseuses, qui d’ailleurs se sont approprié très vite les matières. Cette nouvelle approche correspondait, je pense, au fait que mon travail arrivait à la fin d’un cycle. L’isolement provoqué par la crise sanitaire est arrivé fort à propos en ce qui me concerne, car il m’a donné l’opportunité de me poser et de ne plus travailler dans l’urgence. Cette période m’a aussi permis une introspection et m’a apporté le désir de revenir à l’essentiel, à ce que j’avais vraiment envie de mettre en place. J’ai donc repris un travail initié il y a déjà plusieurs années, plus épuré et plus simple, plus abstrait peut-être. J’ai pu abandonner les étiquettes, les thématiques qui nous sont souvent demandées et me laisser surprendre par le mouvement qui surgissait de ma recherche en studio, comme je le faisais au début de ma pratique de chorégraphe.

Quel type de recherches et d’écritures mets-tu en œuvre lors de la conception d’un nouveau projet ?

Cela prend forme à partir d’un travail à la table et d’un travail en studio. Dans le cas de Collage, le confinement a été déterminant puisqu’on ne pouvait plus répéter et que nous n’avions pas d’accès aux espaces de travail. C’est pourquoi d’une part j’ai beaucoup lu et d’autre part j’ai imaginé ce projet dans ses grandes lignes, notamment l’idée de collage entre trois médiums différents que sont la danse, les arts plastiques et la vidéo. Par la suite, j’ai poursuivi ces idées seule en studio. Ces sessions en studio se sont allongées, au-delà de ce que j’avais prévu, en raison de la crise sanitaire. Par conséquent la matière chorégraphique s’est précisée. C’est en observant cette matière que j’ai pu définir ce sur quoi j’étais en train de travailler. Au TAG à Grigny, nous avons eu l’occasion de réaliser une résidence-laboratoire sans obligation de rendu, c’est-à-dire tournée vers la recherche, ce qui m’a littéralement libérée de l’injonction de créer.

Tu énonces aussi avoir ressenti le besoin de « nettoyer tes acquis ». De quoi s’agit-il exactement ?

Au cours des dernières années, je suis rentrée dans une sorte de systématisation du spectacle. Je suis passée d’une forme abstraite à quelque chose de plus théâtrale dans la narration. J’ai donc fait un grand détour pour revenir à l’abstraction initiale qui habitait ma démarche. Je ne cherche plus à donner au mouvement un message spécifique mais à laisser vivre la matière par elle-même. De là surgit nécessairement une narration, aussi abstraite soit-elle. Par exemple,  lors du processus de création de Collage, des mouvements sont naturellement nés en lien avec des motifs de déplacements géométriques au sol. Sur la base de ces motifs, les interactions s’opérant entre les danseuses se sont développées en des intersections, des rencontres, des éloignements ou des connexions. Une narration interne au spectacle est ainsi apparue.

Qu’a produit ce protocole en définitive ?

En travaillant seule en studio, je me suis aperçue que la matière chorégraphique accumulée traitait du rapport à notre gestuelle, notre propre gestuelle et celle des autres. Il s’agit d’une gestuelle personnelle inhérente à chacun de nous mais aussi d’une gestuelle issue de postures qui sont des références à des chefs d’œuvres de l’histoire de l’art, véhiculés depuis des siècles et d’ailleurs complètement galvaudés aujourd’hui : le David de Michel-Ange est transformé en pied de lampe rose fluo dans une boutique déco tandis que L’Homme de Vitruve de De Vinci est devenu le logo de « Manpower ». Toutes ces œuvres nous imprègnent, imprègnent notre corps. À partir de là, j’ai établi une sorte de corpus de mouvements, que j’ai ensuite déployés afin d’en faire une matière chorégraphique. Mon intention n’est pas de les rendre nécessairement « reconnaissables ». Par ailleurs, l’idée était de travailler sur soi mais aussi en rapport avec l’autre ; donc avec les danseuses, nous avons beaucoup travaillé le lien comme magnétisme, en essayant de tenir cette connexion particulière dans la distance et en se proposant d’en faire l’objet même de l’espace.

Comment as-tu intégré les autres éléments : plastiques et vidéo, à ce protocole ?

Effectivement, dans Collage, la danse, les éléments plastiques et un film forment un tout. Les éléments plastiques sont quatre sculptures. En les mobilisant je voulais observer la manière dont elles travaillaient dans l’espace, dont elles créent un « paysage virtuel » et la manière dont ces objets communiquent entre eux. J’utilise souvent les termes de magnétisme, de relations, d’énergies pour évoquer les liens entre les danseuses : je conçois le même type de liens entre ces objets. Ils peuvent avoir une forme minérale mais évoquent aussi d’autres univers qui ouvrent l’imaginaire. Les danseuses les incorporent dans leurs déplacements comme s’ils pouvaient incarner des extensions d’elles-mêmes et faire naître des alchimies. Dans un second temps, nous avons réitéré les questions soulevées lors de ce travail au plateau, cette fois dans l’espace public. Comme nous travaillons au TAG, nous avons eu l’opportunité d’investir une place de la Grande Borne. Il s’agit d’un quartier dont les bâtiments ont une hauteur de quatre étages seulement et une architecture de forme elliptique qui aménage des percées et donc des perspectives étonnantes. Mon souhait était de travailler avec les habitant-e-s de ce quartier, de travailler sur ces déplacements et de jouer sur ces perspectives. C’est l’objet du film dont les conditions de réalisation ne sont pas réunies à l’heure actuelle. Néanmoins le film ne sera pas intégré directement dans la pièce, il sera présenté en parallèle afin que la proposition chorégraphique et les images puissent dialoguer.

Conceptrice et chorégraphe Françoise Tartinville. Danseuses Marie Barthélémy, Olivia Caillaud, Carole Quettier. Assistante artistique Corinne Hadjadj. Conseiller musique Diemo Schwarz. Éclairagiste Valérie Colas. Vidéo et sculptures Françoise Tartinville. Réalisation sculptures Laurine Firmin et Françoise Tartinville. Photo © Atmen.

Françoise Tartinville a présenté Collage lors d’une plateforme professionnelle organisée par l’Atelier de Paris / CDCN, dans le cadre du festival June Events.