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Fanni Futterknecht « Mes sculptures sont fondamentalement performatives »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 21 mars 2017

Plasticienne d’origine Autrichienne, Fanni Futterknecht crée des installations, des performances et des installations vidéo. Après avoir présenté I wish I could speak in technicolor avec Roger Sala Reyner et Simon Tanguy dans le cadre du programme New Settings #6 à Paris l’automne dernier, Fanni Futterknecht présentera Across the White dans le cadre de la vingtième édition du festival Etrange Cargo à la Ménagerie de verre le 28 et 29 mars prochain.

Vous êtes au départ plasticienne, quels sont vos points d’attaches avec le médium chorégraphique ?

Le médium chorégraphique a toujours été présent dans mon travail plastique, déjà lorsque j’étais étudiante aux Beaux Arts, puis il s’est développé lors de la formation ESSAIS au CNDC d’Angers en 2008-2009. J’ai commencé par faire de la mise en scène photographique, puis de la vidéo, et enfin des performances. En terme d’exposition, l’art plastique et la danse tissent des liens sous jacent : une installation n’est pas si différente d’un espace scénique, il y est souvent question de trajectoires, de mouvements et de déplacements. Mon travail se positionne souvent sous l’égide d’une mise en scène. Qu’il s’agisse d’objets, de vidéos ou de performances live, la dramaturgie est toujours plus ou moins régie par des questions de temps et d’espace. On se pose également aujourd’hui de plus en plus souvent la question de savoir qui est le véritable protagoniste de l’exposition ou de la représentation : l’oeuvre d’art ou le visiteur, l’installation ou le performeur.

Across the White est à la fois une performance, une installation et une vidéo. Quels sont les enjeux de démultiplier ici les médium ?

Dans ma pratique artistique, je m’intéresse beaucoup au processus de traduction d’un médium à l’autre. Ce « processus de traduction » peut se faire d’une performance à une vidéo, d’une exposition à une performance, ou encore d’une performance à une installation. D’ailleurs Across the White a été conçu au départ comme une performance, puis plus tard, est devenue une vidéo. Quelles soient scéniques ou sous forme d’installations vidéo, mes pièces mettent en jeux des protagonistes qui interagissent souvent avec « l’observateur ». Ce qui m’intéresse ici, c’est de voir comment cette interaction change selon le médium. Ces personnages, lorsqu’ils qui s’adressent aux visiteurs à travers l’image d’une vidéo ou aux spectateurs lorsqu’il s’agit d’une performance live, créent une forme de performativité. Across the White interroge la relation entre l’image et la narration et comment ces deux entités peuvent également se developper en parallèle. La narration permet le déploiement du corps dans l’espace, et l’installation déclenche la parole de la narration.

C’est intéressant de programmer cette pièce entre les murs blancs de la Ménagerie de verre. Quelles étaient vos envies en travaillant à partir de cette couleur ?

En effet, ce travail interroge l’espace du white cube, autrement dit le lieu de l’exposition. J’utilise ici la couleur blanche comme la métaphore d’un état, celui du vide, potentiel espace où tout est possible. Ce questionnement sur l’état du blanc comme symbolique du vide est né lors d’un séjour à Shanghai, en Chine, pour des recherches autour de figures artistiques de l’opéra chinois. Dans l’imaginaire chinois, l’équilibre harmonieux du cosmos doit être à tout prix conservé : entre le ciel et les Hommes, entre la nature et la société, etc. Dans le motif narratif des arts vivants asiatiques, nous retrouvons également cette recherche autour de l’équilibre. L’espace vide et blanc du théâtre, et la surface blanche de la toile vierge, sont d’une certaine manière tautologique : ils révèlent ce qui doit être représenté dans et par cette absence.

Comment ces figures asiatiques sont-elles apparues dans ce décors abstrait ?

J’ai tissé des liens entre ma recherche personnelle et l’opéra chinois. Je perçois Across the White comme un travail hybride, dans le sens où il s’agit d’une rencontre entre ma propre culture et la culture chinoise. Adossé au format théâtral de l’opéra chinois, Across the white utilise l’esthétique et les méthodes d’une sur-stylisation de chaque personnage et se rattache à une analyse des mécanismes d’abstraction. La performance s’empare d’instruments de narration symboliques et abstraits et les fait avancer, chacun, dans leur propre esthétique.

Votre dispositif scénique peut être lu comme un paysage, aussi bien pratique que poétique. Comment vos sculptures prennent vie ?

Avec Across the White, l’écriture du mouvement s’est faite en même temps que la création de l’espace. L’installation suit une dramaturgie et déploie son contenu en même temps que la pièce évolue. Les objets sont apportés sur le plateau par les personnages et définissent d’une certaine manière leurs trajectoires. Même si l’espace peut s’apparenter à une scénographie, je préfère donc le terme d’environnement performatif ou de « sculpture élargie ». En tant que plasticienne, je pense que je suis conceptuellement impliquée dans tout les medias, il est donc essentiel que l’écriture chorégraphique et la création plastique soit intrinsèque. Mes sculptures sont fondamentalement performatives. Pour pouvoir être mises en scène, elles doivent être considérées dès le début comme un matériel chorégraphique, ou avec un potentiel de mouvements. J’essaie d’animer ces éléments depuis l’intérieur de l’image plutôt que d’un point de vue extérieur. C’est de cette manière que naissent les actions et les textes. Ces éléments me permettent de développer ensuite l’image, qui influe à son tour l’action. Il s’agit d’un aller retour permanent et assez long.

Chorégraphie et danse Evandro Pedroni, Raul Maia, Fanni Futterknecht. Installation et esthétique des personnages Fanni Futterknecht. Musique Andreas Kurz. Lumière Martin Schwab. Costumes Anthia Loizou. Photo © Fanni Futterknecht.