Photo © Eric Wurtz

Eric Wurtz « Il nous reste l’énergie critique de la scène »

Propos recueillis par Wilson Le Personnic

Publié le 9 août 2017

Pause estivale pour certains, tournée des festivals pour d’autres, l’été est souvent l’occasion de prendre du recul, de faire le bilan de la saison passée, mais également d’organiser celle à venir. Ce temps de latence, nous avons décidé de le mettre à profit en publiant tout l’été une série de portraits d’artistes. Figure établie ou émergente du spectacle vivant, chacune de ces personnalités s’est prêtée au jeu des questions réponses. Ici le créateur lumière Eric Wurtz.

Depuis plus de trente ans, le créateur lumière Eric Wurtz collabore avec de nombreux chorégraphes parmi lesquels Lucinda Childs, François Chaignaud et Cecilia Bengolea, Bouchra Ouizgen, Philippe Decouflé, La Ribot, et Mathilde Monnier sur l’ensemble de ses créations. Cette saison, il a notamment signé les lumières de Chance, Space and Time d’Ashley Chen, Another Distinguée de La Ribot, El Baile de Mathilde Monnier et Alan Pauls, et Record of Ancient Things de Petter Jacobsson et Thomas Caley à l’Opéra National de Lorraine à Nancy.

Quel est votre premier souvenir de théâtre ? 

Au lycée, la professeur de français qui nous fit assister au spectacle Têtes rondes et têtes pointues (1973) de Bertolt Brecht mise en scène par Bernard Sobel au Théâtre de Gennevilliers. Décisif. Je suis d’ailleurs persuadé de l’importance de ce travail d’élargissement des publics qui passe par les institutions. Enfant, la fréquentation de la Maison de la culture du Havre ainsi que d’un atelier d’art plastique, puis durant mon adolescence d’une maison des jeunes et de la culture ont participé à l’éveil de ma sensibilité. C’était les grandes heures de l’éducation populaire. Il se trouve que je dois à André Malraux, une bonne part de l’ouverture de mon imaginaire.

Quels spectacles vous ont le plus marqué en tant que spectateur ?

Il y a des moments saillants et révélateurs dans mon parcours de spectateur : La Classe Morte (1975) de Tadeusz Kantor au Centre Pompidou, inoubliable et fondateur, le choc du « Théâtre de la mort. » Cafe Müller (1978) de Pina Bausch, pour l’irruption du vivant. « On ne danse jamais assez » disait-elle. Hamlet, A monologue (1995) avec et mise en scène par Robert Wilson, pour la maitrise de tous les éléments de l’acte scénique. Dance (1979) de Lucinda Childs : pure jubilation de la complexité, de la fluidité du mouvement et de la relation avec l’image projetée. La mort de Tintagiles (1997) mise en scène par Claude Régy. : la leçon de ténèbres. Golgotha (2009) de Steve Cohen, pour l’engagement au delà des limites et la rigueur plastique.

Quel est votre souvenir le plus intense lié à la création d’un projet ?

La création de Frère et Sœur de Mathilde Monnier dans la Cour d’honneur du palais des Papes. Les dimensions exceptionnelles permettant à la lumière d’exprimer toute son amplitude et sa puissance. La charge historique de cet espace et le contexte pour le moins violent du festival d’Avignon en 2005, révélateur du conservatisme de la critique.

Quelle rencontre artistique a été la plus importante dans votre parcours ?

Elles furent multiples. J’ai commencé mon activité dans un collectif de danseurs appelé Lolita. Le fonctionnement non hiérarchique et expérimental du collectif m’a permis d’appréhender l’éclairage et la performance, libre de tout académisme. Puis avec la chorégraphe Mathilde Monnier : 30 ans de collaboration tout de même. La possibilité de développer une esthétique singulière, de mener une sorte de dialogue concret avec les scénographies d’Annie Tolleter, en pensant l’éclairage comme dispositif en lien avec le propos des oeuvres. Par ailleurs, nous sommes faits de la pluralité de notre parcours, du foisonnement de nos expériences et de certaines incursions dans d’autres domaines que celui du spectacle vivant.

Quelles oeuvres composent votre panthéon personnel de l’histoire de la danse ?

The Mind is a Muscle d’Yvonne Rainer, In the Middle, Somewhat Elevated (1987) de William Forsythe, Dance (1979) de Lucinda Childs et Sounddance (1975) de Merce Cunningham.

Quels sont les enjeux du spectacle vivant aujourd’hui ?

Face à la dématérialisation généralisée du monde, préserver une exception symbolique, vécue collectivement. À la proximité absolue de la chose vue, et à l’enfouissement du regard dans l’écran de la vision, il nous reste l’énergie critique de la scène.

À vos yeux, quel rôle doit avoir un artiste dans la société aujourd’hui ?

L’art est vital pour l’homme, il dénoue les chaînes de l’ordre utilitaire et économique et exerce une force contre la culture de masse. La création est en chacun de nous permanente, et à l’instar de Martin Heidegger « nous devons donner au mot art une nouvelle teneur, en commençant par regagner une position fondamentale par rapport à l’être ».

Photo © Eric Wurtz