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Western Society, Gob Squad

Par Nicolas Garnier

Publié le 8 décembre 2014

À partir d’une vidéo banale trouvée sur YouTube d’une salle de séjour occidentale où rien ne semble s’y passer, la compagnie anglo-allemande Gob Squad a créée Western Society, spectacle où elle interroge l’apparente vacuité de la salle à vivre contemporaine conçue comme un microcosme de la société.

La scène intime, séance de karaoké familial, expose une série de personnages qui ne sont identifiés que par des attributs banals : « Fille au portable », « Garçon à casquette blanche », « Homme à la télécommande », « Dame au gâteau », etc. Autant de rôles qui n’en sont pas pour des figures dont on ne connaît rien de plus, mais avec lesquels s’établit pourtant une certaine familiarité à mesure que leur panoplie gestuelle réduite se dévoile. Il y a Garçon à casquette blanche qui est mal dans sa peau et se contorsionne pour échapper aux regards des autres, Dame au gâteau qui applaudit sporadiquement quand elle ne feuillette pas un magazine people, Mamie qui entre dans le cadre en dansant, Homme à la télécommande qui gouverne l’ambiance musicale, etc.

Les corps de la troupe se superposent à ceux de la vidéo par l’entremise d’un écran amovible. Sur celui-ci apparaissent le contour des corps absents qui sont remplis tant bien que mal. Le langage corporel des personnages de la vidéo compose la partition des acteurs, comme autant de morceaux reconnaissables qui se réagencent en permanence dans une écriture ouverte à l’improvisation.

Après que tous les personnages ont été introduits, il est temps pour le public de la salle, la grande, celle du spectacle, pas la petite de la scène, de participer à une loterie pour gagner un voyage touristique dépaysant dans le corps d’un autre. C’est l’occasion de ne plus avoir à prendre de décision, tous les choix ayant déjà été pris en amont. Pendant la visite guidée, les touristes du soir sont invités à prendre leurs appareils photos avec eux sur scène. Après un rapide tour de présentation, ils prennent enfin place dans le cadre et une heureuse alchimie opère immédiatement. Chacun remplit son rôle avec énergie et une bonne volonté dont la maladresse colore encore davantage la composition générale.

Les actions répétées en boucle constituent la base sur laquelle se nouent des histoires qui explorent les failles intimes. Les danseurs de la troupe traversent l’espace du living room parmi des personnages indifférents à leur présence. L’incommunicabilité entre eux est renforcée par le système de casques audio grâce auquel les spectateurs reçoivent les actions à effectuer. Ces casques placent ces derniers dans une bulle autonome. Les performeurs racontent des récits intimes qui s’insèrent entre les figures figées et se servent d’elles pour régler des comptes insolvables, comme cette figure de substitution pour un père qui n’a pas accepté l’homosexualité de son fils.

La pièce mêle habilement le ton léger de la rigolade et la lourdeur des thèmes abordés, à l’image d’une société postmoderne dans laquelle tous les registres de valeur sont allègrement mélangés. Comme c’est le cas avec ces multiples quiz absurdes qui parsèment l’action, dans lesquels tous les thèmes sont indifféremment abordés, de l’orientation sexuelle aux choix politiques, et auxquels les performeurs répondent par des affirmations sans conséquences qui orbitent en dehors de toute critique.

La désillusion cynique du début est finalement contrebalancée par l’ambiance euphorique qui règne sur scène et l’harmonie qui s’opère avec des spectateurs au diapason. À la question récurrente du début, « what are we doing here ? », la mise en scène rythmée et participative répond de belle manière, affirmant que même de l’apparente vacuité il y a bien des choses à tirer.

Vu à la Maison des arts et de la culture de Créteil. Conception Gob Squad. Avec Johanna Freiburg, Sean Patten, Damian Rebgetz, Tatiana Saphir, Sharon Smith, Berit Stumpf, Sarah Thom, Bastian Trost et Simon Will. Photo de David Baltzer.