Photo jean luc beaujault

Vortex, Phia Ménard

Par Céline Gauthier

Publié le 24 mai 2016

À l’image du tourbillon de vent qui donne son titre à la pièce, Vortex de Phia Ménard a pour défi de nous faire éprouver l’intimité fiévreuse d’une tempête intérieure. La pièce qui se décline aussi en version tout-public avec l’Après midi d’un Foehn prend place dans le diptyque des « pièces du vent », voluptueuses mais éphémères.

Nous plongeons sans prélude dans le Vortex, scène circulaire bordée de ventilateurs autour de laquelle nous prenons place. Quelques hélices tournent faiblement. Au centre du minuscule plateau, un homme en smoking, le visage masqué par un tissu blanc et les mains gantées. Il découpe puis assemble des bandes de plastique et concentre les regards sur ses gestes appliqués. Quelques notes de musique semblent par instants s’échapper de la tonalité monocorde des ventilateurs. Le souffle des hélices s’accélère, les sacs s’élèvent et des membranes de plastique se déploient l’esquisse de silhouettes humaines, qui virevoltent et tournoient avec grâce. Lestées à leurs pieds elle semblent danser dans la colonne d’air invisible qui traverse le centre du plateau : un ballet coloré, éphémère et fugitif, accompagné de la célèbre mélodie de l’Après-midi d’un Faune de Debussy, orchestré par un impresario tout puissant qui d’un geste semble attirer à lui les poches de plastique, les regonfle d’air puis les libère à nouveau.

Derrière cette atmosphère de douce candeur plane cependant les prémisses d’un orage, une vibration souterraine à peine audible dans la respiration de ce personnage colossal aux gestes lents, qui rôde en bordure du plateau, dompte le vent mais se déplace avec peine. Il anéantit d’un sursaut l’infime fragilité des sacs de plastique translucide, déchirés, piétinés rageusement, jusqu’à retourner contre lui son geste, dans la semi-obscurité il extirpe la doublure qui épaississait sa silhouette. Un long ruban de plastique qui semble lui-même se mettre en mouvement et se déploie peu à peu, immense dans les airs tandis qu’il rampe au sol, fragilisé par sa mue. Le plastique noir chargé de reflets luminescents bruisse dans l’épais silence, l’amas des bandes entrelacées plane un instant, suspendu au dessus de sa tête.

L’interprète peu à peu devant nous se dénude, il dévoile sa silhouette enserrée dans des strates de tissu. Chacune est l’occasion d’un geste nouveau, d’une danse avec sa mue. Il s’en saisit et valse avec elle, empoigne sa chrysalide. Une dernière combinaison de latex souligne son corps androgyne, élancé mais par endroits étrangement boursouflé, sur les hanches le tissu semble prêt à se rompre. De son propre ventre jaillit alors un ruban de plastique, cordon ombilical déployé dans les airs, entrailles infinies qui tournoient dans le souffle des ventilateurs. Un mince collant comme ultime enveloppe qu’il déchire de ses dents ; les fils cèdent dans un craquement. Finalement libérée la danseuse explore du bout des doigts la texture de sa peau, expose son corps presque nu aux regards et nous scrute un à un. Phia Ménard nous captive dans Vortex par la justesse de ses gestes. Tour à tour animale et dompteuse, elle joue de ses talents pour manipuler le plus instable : l’air et la matière fluide du plastique et du corps. Une pièce où se déploie avec lenteur les instants secrets d’une métamorphose dansée.

Vu au Nouveau Théâtre de Montreuil. Direction artistique, chorégraphie, scénographie et interprétation Phia Ménard. Composition sonore Ivan Roussel d’après l’œuvre de Claude Debussy. Lumière Alice Rüest. Costumes Fabrice Ilia Leroy. Photo Jean-Luc Beaujault.