Photo 1 © Mathilda Olmi

Vincent Macaigne : Sur les ruines du monde

Par François Maurisse

Publié le 19 décembre 2017

Électron libre et anti-héros du paysage médiatique français, Vincent Macaigne assume plusieurs casquettes : metteur en scène au théâtre, réalisateur et acteur au cinéma. Il y a 3 ans, il présentait Idiot parce que nous aurions dû nous aimer qui avait marqué son public à Nanterre et au Théâtre de la Ville, dans le cadre du festival d’Automne à Paris. Cette année, ce sont deux créations à grande échelle (presque 5 heures de spectacle cumulées) qu’il a mis en scène, les désabusés Je suis un pays (Nanterre-Amandiers, auquel s’ajoute Voilà ce que jamais je ne te dirai, en forme d’excroissance, une forme performative d’une heure qui plonge ses spectateurs directement sur le plateau devasté) et En manque (La Villette), dans une version radicalement différente de celle jouée en 2012 à la ménagerie de verre.

Interrogeant les rapports qu’entretient l’homme avec une catastrophe dont il serait lui-même responsable, ces deux fables dressent le portrait d’une humanité (plutôt jeune) pessimiste, perdante avant même d’avoir commencé à vivre. Affolée, à l’image du metteur en scène, non pas présent au plateau mais dans la salle hurlant des ordres à ses comédiens, la représentation fait le pari d’un trouble méta-théatral. « L’artiste agit comme un DJ » dit le metteur en scène, se plaçant debout derrière la régie, commandant la lumière, la fumée, le son – n’hésitant pas à transformer l’espace du plateau en un dance-floor assourdissant sur lequel se précipitent les plus jeunes des spectateurs, servant la diégèse et renforçant la confusion toute post-moderne créée par un théâtre tenant place au coeur même de nos vies. Si la création artistique du second XXème siècle prenait pour principe la reconstruction des systèmes désintégrés par une guerre passée, ici le postulat de départ est celui de l’imminence de la guerre, retournant ainsi notre rapport à la catastrophe, opérant par la même une toute nouvelle responsabilisation – voire une culpabilisation – nécessitant une rapide et efficace prise de conscience.

Vincent Macaigne fait le choix d’un parti pris poétique face à la situation d’un monde en crise, à la montée des nationalismes, à la boursoufflure du capitalisme tardif. Il oeuvre à la création d’images grandiloquentes, noyant volontiers les hommes dans une débauche d’effets théâtraux cataclysmiques, donnant le sentiment d’assister à une lutte perpétuelle pour la survie de vies minuscules. Le travail est appréciable dans le sens où il ne cherche pas à donner des leçons mais plutôt à montrer de façon assez juste à quel point les systèmes régissant notre monde sont devenus leur propre caricature. Ici, le récit avance dans une succession de ratages, non pas pour se laisser la possibilité de ré-essayer pour supposément réussir – mais plutôt pour rater mieux. La présence d’une petite fille dans chacun des spectacles sert de repère, comme pour prendre soudain conscience de l’adversité, de l’absurdité de la situation.

Alors que dans sa version de 2012, En manque se fondait sur le texte Crave de Sarah Kane, rien ne laisse aujourd’hui entrevoir le texte original, si ce n’est le ton poético-épique de certaines tirades. Dans Je suis un pays, la mise en scène assénée au marteau piqueur tente le portrait d’une société du tout spectaculaire – peinant, par exemple, à trouver un angle clair pour singer les rouages d’un affreux jeu télévisé dont le but consiste à assassiner (vainement et inlassablement) le roi.

Aussi, Je suis un pays et En manque lancent les pistes d’une réflexion sur le monde de l’art. Pour ce faire, a été forgée la figure fantoche de Ulrich Von Sidow, mystérieux plasticien dont les oeuvres, censées meubler les décombres des mondes, restent presque toujours invisibles ou absentes. Dans Je suis un pays, il incarne l’idée d’un artiste instrumentalisé par l’oligarchie dirigeante dans un système où l’art est devenu aussi privé que peut l’être le pouvoir dictatorial des nations post-industrielles. Dans En manque, il s’agit plutôt d’un art dont l’unique fonction serait la défiscalisation et la mise en valeur de la richesse personnelle d’une femme.

L’ensemble de ces deux productions, somme toute assez monolithique, reflète l’image d’un metteur en scène qui peine à se défaire des lianes dans lesquelles il s’est lui même empêtré. Le sentiment dégagé d’une apocalypse tant idéologique que physique (toutes les images sont enfumées, sombres, rendues difficile d’accès) ne laisse finalement que peu de latitude aux spectateurs, qui peuvent facilement se sentir empêchés dans leur appréhension de la forme et leur prise de distance critique. Dans l’idée de faire venir les gens au théâtre pour prendre part à une fête, pour qu’il puisse s’agir de faire danser les hommes sur les décombres d’un monde en ruine, il manque probablement encore la ferveur et la joie. Il est en effet plutôt ardu de tirer du plaisir dans la crispation tant le sentiment d’agression est omniprésent, alors qu’on se trouve incessamment balloté entre une musique pop à plein volume, des stroboscopes et des personnages hystériques se sentant eux-même comme les Grands Guignols d’une immense mascarade.

Vus au Théâtre Nanterre-Amandiers (Je suis un pays) et à La Villette (En manque) dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Photo © Mathilda Olmi.