Photo THE GOLDFISH AND THE INNER TUBE

Stéphane Vecchione & Ruth Childs, The Goldfish and the Inner Tube

Par Wilson Le Personnic

Publié le 29 mai 2018

Il est comédien et musicien suisse, elle est danseuse et chorégraphe d’origine américaine : rien ne prédestinait la collaboration entre Stéphane Vecchione et Ruth Childs. Les deux artistes se rencontrent en 2013 sur le plateau du metteur en scène Massimo Furlan : « Le travail est parti d’une frustration, nous avions tous les deux écrit une chanson pour l’ouverture d’un spectacle de Massimo qui, à quelques jours de la première, a été supprimée » confie Stéphane Vecchione. Leur dialogue artistique s’initie dans un premier temps autour d’une envie commune de s’amuser « C’était comme un prétexte pour pouvoir faire de la scène ensemble » confessent-ils. Le binôme forme alors dans un premier temps Scarlett’s Fall, un duo décalé d’électro pop expérimentale. « C’était aussi un moyen de se défaire d’une certaine manière de travailler, de se retrouver ensemble dans un endroit où il y avait moins de règles et de principes : on était libre. » déclare le batteur, avant d’ajouter en souriant « On faisait des concerts un peu bizarres, les gens de la musique sont très premier degré et n’arrivaient pas à savoir s’ils devaient nous prendre au sérieux ou non ». Si leur duo revêt une certaine légèreté assumée, le projet represente essentiellement un terrain émancipateur.

« Nous avons en commun d’être souvent en décalage avec ce qu’il y a autour de nous. » Le tandem revendique cette touche de weirdess, ce statut marginal, dans leur tout premier objet scénique The Goldfish and the Inner Tube  (littéralement “Le poisson rouge et la chambre à air”). Ici, les deux artistes poursuivent leurs expérimentations et co-signent une performance hors-cadre d’une brillante maîtrise, à la frontière entre les genres et les médiums, à la fois chorégraphique, visuel et plastique. « Il y a tout de suite eu l’idée de la matière » déclare Ruth Childs. Sur le plateau, une trentaine de chambres à air en plastique noir servent d’aire de jeux aux deux performeurs accoutrés d’un simple pull rouge et d’une paire de baskets. Sexes et fesses à découvert, ils mettent en évidence le caractère loufoque de leurs silhouettes. Au milieu de cet étrange paysage encombrés et protéiforme, ces deux anti héros organisent des situations qui semblent être les résultats de cheminements mystérieux, arrangeant une suite d’événements sans but ni raison logique. « On collectionnait des images glanées sur internet qu’on s’est ensuite amusé à construire et déconstruire. L’absurde est arrivé malgré nous : dès que des situations trop théâtrales ou trop narratives commençaient à se faire sentir, on passait autre chose pour éviter que la forme ne devienne trop stable ou identifiable. »

Tantôt dans le champs de bouées géantes au centre du plateau, tantôt derrière sa batterie installée en fond de scène, Stéphane Vecchione rythme les différents tableaux à l’aide de sa batterie. Ses différents solos tonitruants, revêtue d’une tonalité free jazz, informe et brute, évoquent le générique d’ouverture de PlayTime de Jacques Tati, référence souterraine évoqué par le batteur : « Déjouer le spectaculaire avec la batterie, c’est amener un élément sonore qui va impliquer une attente, faire un geste à la fois raté et formidable par exemple, comme faire tinter la cymbale alors que rien ne se passe au plateau… » Cette distance participe d’autant plus à la singularité de l’ambiance du spectacle. Le reste de l’environnement sonore est produit par le gonflement des chambres à airs, reliées à des machines installées de part et d’autres du plateau : ces orgues bricolées, à travers lesquelles passe de l’air comprimé, génèrent différentes tonalités de sons. « Souvent, lorsque je fais la création sonore pour des pièces, je pars de la matière présente au plateau, qu’elle soit chorégraphique ou scénographique » nous explique le musicien, qui avait pour ambition première de parvenir à « faire chanter » ces chambres à air. Des nappes sophistiquées de musique abstraite, à la fois mécaniques et organiques, accompagnent ainsi les deux interprètes dans leurs jeux.

Une série de questions alimente les réflexions des deux artistes : « Qu’est-ce que le banal ? Qu’est-ce qui nous enchante ? ». Plus qu’une tentative de réponse, The Goldfish and the Inner Tube agit comme une série de pistes à explorer. À partir d’une collection d’images puisées principalement sur internet, des situations cocasses s’enchaînent sans logique première apparente, à la manière d’un collage poétique abstrait. Le duo confie d’ailleurs vouloir « être tout le temps dans un glissement et suggérer des choses pour préserver une certaine ambiguïté ». L’environnement instable et les actions imprévisibles des deux performeurs suscite toujours la surprise et vient déjouer le spectaculaire. Cherchant parfois du regard l’approbation du public dans leur poses loufoques statufiées, les deux artistes puisent également dans des souvenirs et des anecdotes personnels. Ainsi le poisson, qui se retrouve malgré lui la mascotte du spectacle, est issu d’un de ces récits de vie : « j’étais en tournée à Hong Kong et j’ai traversé une rue dans laquelle on vendait des milliers de poissons rouges dans des sacs en plastiques rempli d’eau… J’ai eu cette vision d’un petit poisson perdu dans la grand ville, et l’image est restée» confie la chorégraphe. Gonflées, dégonflées, étalées au sol ou amoncelées, les chambres à airs produisent des images changeantes, étrangement belles, figurant un champ de ruine, qui peuplé de ces figures à demi-nues, vient résonner avec une mémoire collective, rappelant des images de terrains pollués, de champs de bataille, ou de frontières maritimes traversés par des réfugiés.

Nous connaissions principalement Ruth Childs en interprète appliquée, entreprenant les reenactment des performances post-modernes de sa tante Lucinda Childs, The Goldfish and the Inner Tube permet de la découvrir dans tout autre un registre. Si la danseuse marque une véritable rupture avec ce précédent travail de reprise, elle ne renie cependant pas son héritage, ne manquant pas de glisser dans la pièce des références à son activée d’interprète : des sacs en plastiques bleus rappellent volontiers les performances de Lucinda Childs et de La Ribot. La batterie bleue sur laquelle le musicien joue, quant à elle, était déjà présente dans leur deuxième album Scarlett’s Scared. Comme s’ils tentaient alors à faire feu de tout bois, mêlant les champs disciplinaires au même titre que les registres de représentation, Stéphane Vecchione et Ruth Childs signent une première pièce exigeante, témoignant d’une sensibilité poétique aiguë et d’une maîtrise absolue dans la confection des images.

Vu à l’Arsenic à Lausanne. Conception, performance et musique : Ruth Childs et Stéphane Vecchione. Création lumière : Joana Oliveira. Construction et accessoires : Victor Roy. Œil extérieur : Michèle Pralong. Photo © Marie Magnin.

Le 12 juin, Festival June Events / Ateliers de Paris