Photo ©Gilles Delmas

Transaction, Mithkal Alzghair

Par Wilson Le Personnic

Publié le 7 juillet 2017

Chorégraphe et danseur syrien, Mithkal Alzghair a suivi une formation à l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas en Syrie avant d’obtenir le master Ex.er.ce au Centre chorégraphique national de Montpellier (dont la directrice était à l’époque Mathilde Monnier). La guerre et le contexte politique en Syrie l’oblige à s’installer en Europe où il y développe depuis une pratique artistique autour de cet héritage migratoire. Il remporte le 1er prix du Concours Danse élargie 2016 (organisé par le Théâtre de la Ville à Paris et le Musée de la danse) avec Déplacement, qui questionne son héritage syrien dans un contexte d’exil. Auréolé par cet héritage trouble, son travail chorégraphique se nourrit du patrimoine politique et culturel syrien.

Sa nouvelle création Transaction, dont la première a eu dans le cadre de l’événement Camping au Centre National de la Danse à Pantin, continue de donner corps aux images générées par le conflit syrien. En témoigne le tableau qui ouvre la pièce : dans la pénombre, nous distinguons des corps qui jonchent un plateau encombré d’objets à l’apparence de décombres, le silence d’abord, puis des râles d’agonies se font entendre. Ce paysage évoque inévitablement les scènes de terreur post attentat, les quelques secondes qui succèdent à une explosion. Sur un sol recouvert d’un linoléum blanc, des palettes de bois noires reposent sur des tas de résidus noirs. Suspendue par une corde au dessus de la scène, une palette noire côtoie un bidon percé qui gouttera pendant tout le spectacle. Cette installation rudimentaire est signée par le plasticien syrien Khaled Dawa, auquel on doit habituellement des sculptures d’argile.

Au sol, les danseurs sont harnachés les uns aux autres par des systèmes de poulies. Les déplacements de l’un entrainent inévitablement les déplacements du partenaire auquel il est rattaché : les corps sont trainés, ballotés dans l’espace et à différentes hauteurs, tantôt activement, tantôt passivement. Les duos de Transaction oscillent entre ces deux états : un corps porté vs un corps porteur, un corps mort vs un corps vivant. L’écriture de la chorégraphie repose donc ici essentiellement sur la gravité et les transferts de poids entre les corps, entre les corps et les palettes de bois. Si l’intention initiale de Mithkal Alzghair est honorable, le chorégraphe souhaite ici construire « un panorama humain qui incarne l’absurdité de la guerre », l’objet en lui même est cependant loin d’avoir la consistance du sujet.

Bien que la performance réserve quelques beaux tableaux – des corps figés suspendus au dessus du vide dans une lumière lunaire – la chorégraphie et avec elle notre intérêt s’épuisent très vite une fois les mécanismes de composition appréhendés. S’ajoute à cette recherche corporelle rudimentaire par sa simplicité un travail inégal autour de la voix qui laisse parfois dubitatif : les déplacements silencieux sont parfois accompagnés par des râles d’agonies qui se transforment graduellement en cris de jouissance et en vocalises de la chanteuse lyrique Noma Omran (également exilée Syrienne). Dans l’obscurité du plateau, certains interprètes prennent ponctuellement la parole pour décrire des scènes de chaos ajoutant une nouvelle couche d’interprétation, ne faisant malheureusement qu’alourdir le dispositif.

Présentée comme une performance-installation, cette pièce a pour ambition d’être activée dans des espaces autres que celui du contexte de la boîte noire du théâtre. Il serait sans doute en effet plus judicieux et pertinent de proposer Transaction sous une forme dégrossie à des visiteurs/spectateurs en déplacement au vue du potentiel et des possibilités esthétiques offerts par la matière chorégraphique activée par les interprètes.

Vu au au Centre National de la Danse à Pantin. Chorégraphie Mithkal Alzghair. Interprétation Noma Omran, K Goldstein, Marion Blondeau, Mithkal Alzghair. Plasticien Khaled Dawwa. Photo © Gilles Delmas.