Photo Tabea Hüberli

Thom Luz, When I Die & Unusual Weather Phenomena

Par Nicolas Garnier

Publié le 14 avril 2016

Une drôle d’aura entoure Thom Luz. Ses deux spectacles programmés en ce début d’avril au Théâtre des Amandiers, When I Die et Unusual Weather Phenomena, ont reçu un accueil pour le moins mitigé. Peu de spectateurs se sont laissés tenter, et parmi eux les avis étaient pour le moins partagés à la sortie. C’est donc sûrement avec un arrière-goût de rendez-vous manqué que le metteur en scène suisse a dû voir s’égrainer les dates. Un tel désaccord entre public et œuvre est suffisamment rare pour soulever des interrogations et susciter l’envie d’en chercher les raisons.

When I Die exhume l’histoire de Rosemary Brown, une ménagère anglaise qui publia dans les années 70 un disque de compositions inédites des plus grands compositeurs. Ce prodige aurait été permis par la visite en esprit de ces maîtres, sous la dictée desquels elle aurait tout noté. Friand d’histoires paranormales et inexplicables, Thom Luz se repose donc sur ce fait divers pour donner à voir et à entendre le quotidien hanté de la bonne Mrs Brown. Avec Unsual Weather Phenomena, il s’intéresse à un autre domaine hautement incertain et imprévisible : la météorologie. Il le fait cependant par le biais des publications que le physicien américain William R Corliss a consacré depuis 1974, et jusqu’à sa mort en 2011, aux phénomènes naturels anormaux attestés par des témoignages oculaires sérieux. A Handbook of Unusual Weather Phenomena reste le livre le plus connu de cet adepte de l’« anomalistique », anglicisme pour qualifier une discipline des sciences naturelles s’intéressant à tous les cas déviants et anormaux. À l’aide de multiples enregistreurs à bande magnétique, de ballons suspendus dans les airs et d’une petite troupe de musiciens, le spectacle tente de recréer des micro-systèmes musicaux aussi instables que leur contrepartie atmosphérique.

Outre la relative nouveauté de la programmation du Théâtre Nanterre Amandiers – qui suffirait dans une certaine mesure à expliquer la défiance du public – c’est peut-être également le rôle inhabituel que Thom Luz accorde à la musique qui a pu jouer en sa défaveur. Pour lui, loin d’être seulement un accompagnement ou une pièce rapportée, la partie musicale constitue au contraire la fondation de chaque spectacle. Les instruments deviennent des acteurs à part entière et la narration se fait par l’hybridation des voix et des sons, dans une unité hermétique.

Ses acteurs sont ainsi avant tout des musiciens – et de remarquables musiciens. Dans When I Die, un quatuor de gentlemen en veste noire entoure la vieille dame esseulée, et active, à l’image des kurokos du théâtre Kabuki, les instruments un à un. On retrouve un quatuor similaire dans Unsual Weather Phenomena, où trois musiciens interprètent des fragments musicaux qu’un quatrième se charge d’enregistrer sur les bandes magnétiques qui jonchent la scène. Non seulement les acteurs sont des musiciens, mais les instruments sont aussi des acteurs et accèdent à la narration. Une scène témoigne d’ailleurs particulièrement bien de ce statut hybride. Lorsque les comédiens découvrent le fonctionnement du surtitrage, ils en profitent pour le subvertir et traduire en mots les notes de leur instrument. On assiste donc au monologue insensé d’un trombone.

À travers cette tentative absurde de traduction littérale, on touche peut-être à un des problèmes des deux œuvres de Thom Luz. En effet, celles-ci flirtent constamment avec l’ésotérisme, que ce soit dans le contenu, par les références aux phénomènes paranormaux et spirites, ou dans la forme, avec la mise en place de système musicaux aux règles obscures, tant et si bien qu’elles peuvent pêcher par un excès d’hermétisme. Quand bien même est-on saisi par la beauté ineffable de certaines situations, notamment par la majesté du ballet de ballons-sondes qui clôt Unsual Weather Phenomena, on n’en risque pas moins de se sentir exclu à la longue. Fidèle à un héritage musical minimaliste et conceptuel, Thom Luz se revendique lui-même de John Cage et de son Atlas Eclipticalis, où ce dernier prenait le parti fou de traduire en musique la carte des étoiles par un protocole décalé (une coulée d’encre sur la partition). Cependant, là où Cage rendait accessible son protocole de transformation, celui de Luz reste implicite et dissimulé. Ne reste alors que l’expérience directe et mystérieuse des situations, et la force de la logique obscure pour intriguer suffisamment le spectateur. Or, c’est précisément cette force-là qui fait défaut par moment, et il devient alors difficile de ne pas se sentir décroché par l’expérience mutique et mystérieuse qui suit son cours en toute autonomie.

Vu au Théâtre Nanterre Amandiers. Mise en scène, conception, scénographie Thom Luz. Direction musicale Mathias Weibel. Dramaturgie Marcus Dross. Costumes et lumières Tina Bleuler. Son Martin Hofstetter. Photo Tabea Hüberli.