Photo 2. sweet bitter ©Filip Vanzieleghem

(sweet)(bitter), Thomas Hauert

Par François Maurisse

Publié le 25 mai 2017

Le chorégraphe suisse Thomas Hauert développe depuis 20 ans une recherche fondée sur la composition improvisée, s’attardant sur les écarts entre musicalité du mouvement et rigueur des partitions musicale. Mais à l’exact opposé du travail d’Anne Teresa de Keersmaeker, chez qui il a fait ses classes il y a de nombreuses années, le solo qu’il présente aujourd’hui au Centre Culturel Suisse à Paris, (sweet)(bitter), créé en 2015, expose la complexité des rapports entre musique et écriture chorégraphique.

Le petit plateau du Centre Culturel Suisse est jonché de tiges lumineuses, vissées dans des petits socles en béton, s’allumant par intermittence, éclairant l’espace de halos bleus et roses. Assis dans un coin, Thomas Hauert attend le début de la représentation. Quand la musique commence, une première version du Si Dolce è ‘l Tormento de Monteverdi, le danseur, toujours sur sa chaise, esquisse une série de gestes hésitants, avant de se lever, contraint par plusieurs couches de vêtements pour entamer une danse énergique, labourant l’espace du plateau, toute en saccades et ruptures. Treize autres versions du madrigal de Monterverdi suivront, complétées par cinq des madrigaux du compositeur italien contemporain Salvatore Sciarrino.

Jamais diffusées jusqu’à la fin, toujours interrompues par un geste du danseur à l’intention de la régie, les différentes compositions sont ici autant de tentatives avortées d’une interprétation dansée de ces poèmes célébrant l’amour courtois. Se déshabillant peu à peu, précipité, Thomas Hauert semble redoubler d’énergie à chaque fois qu’un morceau commence, cherchant à tâtons de nouveaux placements, modifiant états de corps et portées du geste. Si les séquences, hétérogènes, alternent entre des épisodes tourbillonnant et d’autres plus transis, la cohérence de l’ensemble semble se trouver dans l’urgence avec laquelle le danseur recommence systématiquement, le regard fuyant, les appuis instables.

La composition de Monteverdi insiste sur la jouissance tirée d’un amour non-réciproque. Ici, Thomas Hauert nous livre une performance douce-amère, mû par le désir brûlant de danser, jamais découragé par la difficulté de la tâche entreprise. A la fin de la performance, presque nu, après avoir couché les tiges lumineuses sur le sol, c’est à même le tapis que se termine la chorégraphie. Au milieu du champ de bataille du plateau, épuisé, Thomas Hauert ne s’avoue jamais vaincu.

Vu au Centre Culturel Suisse à Paris. Concept, chorégraphie and interprétation : Thomas Hauert. Lumières : Bert Van Dijck. Photo © Filip Vanzieleghem