Photo © Bart Stadnicki

So you can feel, Pieter Ampe

Par Guillaume Rouleau

Publié le 16 août 2016

Sur la scène du Schauspielhaus, lors de ImPulsTanz – Vienna International Dance Festival 2016, Pieter Ampe reprenait son solo exhibitionniste de 2014 So you can feel. Né en Afrique, au Burundi, et ayant grandi à Gand, Belgique, Pieter Ampe présenta ses premières pièces après avoir suivi un programme danse et théâtre à l’Académie expérimentale de danse de Salzburg et avoir complété les deux cursus de P.A.R.T.S. (« Performing Arts Research and Training Studios » fondés par Anne Teresa de Keersmaeker) – dont un duo avec Simon Mayer, O feather of lead (2008), un autre avec son frère Jakob Ampe, Jake and Pete’s Big Reconciliation Attempt For The Disputes From The Past (2011) ou encore Still Difficult Duet (2007) et The duet Still Standing You (2010) avec Guilherme Garrido. Pour So you can feel, le danseur et chorégraphe se met à nu, solo (so you can feel the artist), pour attoucher le public (so you can feel the touch) avec exubérance (so you can feel the energy).

So you can feel the artist. Lorsque Pieter Ampe arrive sur la scène éclairée de deux projecteurs de studio photo, une toile noire tendue en arrière-plan, le public applaudit cet homme à la barbe touffue, frisée, au crâne dégarni, chaussures de randonnée aux pieds, jean large et usé comme la ceinture qui le maintien. Il quitte la scène puis revient pour susciter plus d’applaudissements, vagabondant comme s’il s’était retrouvé là sans autres raisons particulières. Un look poilu, « bear » (nounours queer), sur lequel Pieter Ampe va jouer durant les 65 minutes de So you can feel. Celui-ci alterne entre des adresses directes au public et des retraits face à un miroir, reflet caché au public, devant lequel il répète ses poses, test leurs effets sur lui-même (So he can feel it). Une manière de se mettre à nu en déshabillant les intentions : plaire, se plaire, s’y plaire – les bras derrière la tête en bombant le torse, abdominaux et cuisses en avant (pose de culturisme) ou bien allongé, la tête maintenu par un bras, fixant intensément des personnes choisies. Pieter Ampe se met à nu, par étapes, de la pudeur à l’obscénité, par les habits et poses qu’il enfilera (t-shirt « I like girls who like girls » et pantalon en simili cuir à bretelles noir sur torse nu et poilu compris) pour enfiévrer.

So you can feel the touch. Pieter Ampe, en faisant des allers retours entre le miroir et le public, deux reflets différents, et en enfilant des tenues de plus en plus transparentes, se sert de la mise à nu pour impliquer le public. You are my mirror, I’ll be yours. L’interprète devient un reflet décomplexé du public qu’il déshabille en allant l’observer au premier rang, en le prenant par la main pour une confidence sur scène que personne n’entend, en le faisant monter sur scène pour danser sur Whole Lotta Shakin’Goin’On de Little Richard, etc. Par les différents personnages qu’il incarne, le public se projette dans ses actions, se préparant à être le prochain, la prochaine, désigné-é, quand ce n’est pas lui qui se projette dans le public, pour attoucher en plus de toucher, comme lors d’un numéro érotique sur un remix de Frankie goes to Hollywood, PowerOfLove. Un numéro durant lequel il traversera le public en gogo dancer, en tenue résille intégrale noire et perruque afro, les gestes au ralenti, prenant appui sur des têtes, des mains tendues, les accoudoirs des sièges. Ce ralenti des gestes, ajustés et donnant rythme au public, le sérieux de Pieter Ampe dans ses costumes et la suite des séquences qui constituent So you can feel, attouchent par cette capacité de modifier l’image qu’il renvoi. La scène devient le lieu où l’on peut changer d’être, où l’on désir changer d’être. C’est ce désir dans et par l’oubli des limites identitaires qui est mis en scène with his touch.

So you can feel the energy. Ce désir a une charge sexuelle exprimée par les poses, les costumes, les musiques utilisés. Pieter Ampe construit avec ses personnages, entre la scène de théâtre conventionnelle et la « sensualité d’une maison de prostitution ». En représentation sur la scène du Schauspielhaus,  c’est un chippendale grotesque, un stripper qui partage ses faiblesses et son autorité. La faiblesse de personnages qu’il souhaite ne plus être, comme lorsqu’il débute So you can feel les épaules voutées. L’autorité qu’il impose à travers les changements de personnages – le buste relevé dans sa tenue de similicuir, entamant un mime de forgeron par exemple. L’énergie de Pieter Ampe est celle de ces changements d’état qui ne se restreignent pas aux vêtements, lorgnent vers les revêtements. Il s’enduira ainsi de peinture blanche, qui se démarque par les sensations tactiles qu’elle procure (sexualisées elles aussi) et par les références qu’elle suscite sur un corps humain : la statuaire grecque, les tribus aborigènes ou indiennes, la danse butō. La peinture blanche sera aussi l’entrée du tragique dans So you can feel après le comique des débuts. Un tragique et un comique que Pieter Ampe manie avec habilité, So you can crySo you can smile, un déshabillage qui est aussi une foule de manière de s’habiller, par le geste, par la voix, en s’amusant de la virilité, de ce que devrait être la virilité. Le burlesque pour le bien-être. Un artiste. Une touche. Des énergies. So you can applaud.

Vue dans le cadre de ImPulsTanz. Chorégraphie et performance Pieter Ampe. Musique Jakob Ampe. Coaching Alain Platel et Sarah Thom. Photo © Bart Stadnicki.