Photo © John Nguyen

Sleep Technique, Dewey Dell

Par François Maurisse & Wilson Le Personnic

Publié le 22 mai 2017

Issue de la STOA (école fondée par le metteur en scène italien Romeo Castellucci à Cesena en Italie) la compagnie Dewey Dell est formée par Teodora, Demetrio et Agata Castellucci (enfants de ce dernier) et Eugenio Resta. Véritable ovni dans le paysage chorégraphique et théâtral italien, le collectif transdisciplinaire tourne depuis 2007 à l’international et dans les plus grands festivals européens. Programmé au Théâtre de Gennevilliers dans le cadre de Italiani a Parigi au coté de Virgilio Sieni et Francesca Pennini, Dewey Dell présente Sleep Technique pour la première fois en France.

Si beaucoup de spectacles commencent dans l’obscurité, le noir du plateau revêt ici d’une signification particulière. Sleep Technique est un retour à la nuit des temps, au début de l’histoire, au début de l’art, au début de l’image. La dernière création du collectif Dewey Dell tire sa genèse dans un lieu où la lumière avait disparu depuis des millénaires avant sa découverte en 1994 : la grotte Chauvet. C’est dans l’iconographie de ce chef d’oeuvre de l’art pariétal, contenant des milliers de peintures et de gravures, véritable écrins à fantasmes, que le collectif italien a pioché pour élaborer l’écriture de ce spectacle. Les membres de Dewey Dell ont travaillé à partir d’un constat assez simple : la seule figure anthropomorphe présente parmi les milliers de motifs présents sur les parois de la caverne est la représentation d’un buste féminin.

Quand la lumière advient, il nous est impossible de discerner l’intégralité de la scénographie, de faibles faisceaux lumineux semblant filtrer depuis le haut, comme passés au travers des étroites galerie d’une caverne. Une silhouette casquée se distingue finalement au centre d’un paysage resserré : le plafond est bas, le sol est vallonné par une légère ondulation et le fond du plateau est troué par une ouverture menant vers un espace obscur, d’où sortiront des corps et des sons inquiétants. Salle du Fond, Salle du Crâne, Salle Hilaire, Galerie du Cierge, Salle des Bauges, Salle Brunel, Salle d’Entrée : les noms des différentes salles qui composent la grotte Chauvet sont projetés au dessus du plateau et donnent à chacune des séquences une teinte particulière.

D’une salle à une autre, nous naviguons alors dans l’espace labyrinthique et imaginaire de la caverne, mis en mouvement par les quatre interprètes. L’espace figuré est celui d’un espace liminal, qui marque la frontière entre l’extérieur et l’intérieur, entre l’espace du rêve et celui du réel. Tour à tour avalées et recrachées, les étranges silhouettes casquées et ficelées des danseurs passent d’un côté puis de l’autre, happés par l’obscurité mystérieuse de la cavité, se dérobant à la vue des spectateurs en donnant vie à d’étranges hors-champs.

Comme en réponse aux dessins retrouvées sur les murs de la grotte, la chorégraphie puise dans un langage abstrait et inquiétant. Portés par une ambiance pesante, les corps se contorsionnent et s’animent dans la pénombre au rythme d’une musique organique, vibrante, comme échappée des profondeurs de la terre. Quasi-sculpturaux, les interprètes alternent entre des passages hiératiques à la lenteur plastique et des séquences plus expressionnistes, sensuelles et vigoureuses. La création sonore, véritable atout de cette proposition chorégraphique, sature l’espace, auréole les corps comme une présence angoissante et apporte une densité certaine à chacun des tableaux.

Avec Sleep Technique, le collectif Dewey Dell signe une puissante proposition scénique qui, malgré un déluge d’effets visuels et sonores spectaculaire, peine à dépasser le simple tour de force. La proposition est plutôt aride, alors qu’il s’agissait pourtant au départ de se confronter aux peintures préhistoriques de la grotte Chauvet, qui, bien que muettes, possèdent un fort potentiel poétique.

Vu au T2G Théâtre de Gennevilliers. Concept Dewey Dell Agata, Demetrio et Teodora Castellucci, Eugenio Resta. Photo © John Nguyen.