Photo menagerie de verre

(sans titre) (2000), Tino Sehgal

Par Wilson Le Personnic

Publié le 5 avril 2016

Récompensé par un Lion d’Or à la Biennale de Venise 2013 et présenté dans les plus grands musées, l’artiste germano britannique Tino Sehgal signe depuis maintenant une quinzaine d’années des « oeuvres performatives » entièrement factuelles. Il proscrit et refuse depuis toujours de documenter son travail ; ses oeuvres sont donc affranchies de tout commentaire, toujours livrées sans paratexte et sans aucun cartel légendé. Conçue avant qu’il devienne un artiste de notoriété internationale, (sans titre) (2000) est la dernière pièce de Sehgal pour la scène avant son « passage » dans les arts plastiques. 

Déjà assujetti à sa création, ce protocole désormais caractéristique de l’artiste, (sans titre) (2000) avait acquis, avant que le Musée de la Danse (Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne) reprenne en 2013 sa production, en moins d’une décennie l’aura d’une œuvre légendaire. Interprété initialement par Sehgal himself, ce solo a été transmis à trois danseurs : Andrew Hardwidge, Frank Willens et Boris Charmatz. Présenté au Festival des Inaccoutumés 12 en octobre 2001, (sans titre) (2000) est de nouveau programmé à la ménagerie de verre, quinze ans après sa création, toujours sous la verrière du petit studio Wigman, mais aujourd’hui dans le cadre d’Etrange Cargo, festival qui fête cette saison son 18e anniversaire.

Dansé entièrement nu, sans musique ni décor pour ériger la danse, le solo (sans titre) (2000) est une retrospective non exhaustive de l’histoire de la danse du vingtième siècle « exposée » à l’état brut. Frank Willens et Boris Charmatz y activent chacun leur tour un long catalogue de gestes et de mouvements empruntés aux grandes figures du siècle dernier, de Vaslav Nijinski à Jérôme Bel. Les érudits de la danse y reconnaîtront, entre autre, la figure de la sorcière (1914) de Mary Wigman, la « danse libre » d’Isadora Duncan, Trio A (1966) d’Yvonne Rainer, Accumulation (1971) de Trisha Brown, Le sacre du printemps (1975) et Café Müller (1978) de Pina Bausch, Piano Fase (1982) d’Anne Teresa de Keersmaeker, ou encore la silhouette malléable du chorégraphe et danseur Xavier Le Roy dans son emblématique solo Self Unfinished (1998).

Loin d’être une simple succession d’extraits chorégraphiques, ces fragments « d’oeuvres » ont été élaborés à partir d’archives et d’une méthodologie propre à chacune, par exemple en utilisant les CD-Rom de William Forsythe ou les dessins de la danse de Duncan… Autant de matériaux propices à une réécriture du geste dans l’imaginaire d’une corporéité identifiable ou supposée. Au delà d’être une simple lecture de l’histoire de la danse à travers un corps glorieux, (sans titre) (2000) sidère avant tout par son appétence du geste et par la virtuosité de ces deux interprètes, ici Willens et Charmatz, à se laisser habiter par les fantômes fugaces d’un passé encore brûlant.

Vu à la ménagerie de verre, dans le cadre du festival Etrange Cargo. Conception Tino Sehgal. Interprétation Boris Charmatz et Frank Willens. Photo du studio Wigman à la ménagerie de verre.