Photo Wilfried Thierry

Roses, Nathalie Béasse

Par Nicolas Garnier

Publié le 12 janvier 2015

Avec Roses, Nathalie Béasse propose une adaptation libre de Shakespeare, entre fidélité au texte original et performance dansée. Combinant un large panel de situations à une grande économie de moyen, elle cherche à donner un écho actuel au récit classique tout en faisant dévier son centre de gravité, du roi vers la cour.

La pièce tient son nom de la guerre civile qui faisait rage dans l’Angleterre du XVè siècle, la guerre des Deux-Roses provoquée par une querelle de succession entre la maison de Lancastre et celle royale d’York, dont Richard III fut le dernier représentant. Le texte original raconte comment celui-ci accéda au trône, enchaînant trahisons et meurtres. Richard a tué, dans sa soif de pouvoir, époux, femmes et enfants. Ayant vécu par les armes, il périt par elles sur le champ de bataille, laissant la voie libre à la dynastie rivale des Tudor.

Du texte d’origine, Béasse ne conserve que le squelette général ainsi que des fragments de vers, déclamés aussi bien en anglais qu’en français. Le récit de Shakespeare sert seulement de noyau dramatique fort, les visées des deux œuvres sont bien différentes. Dans Roses, l’accent est mis sur l’ensemble des personnages qui entourent le tyran Richard. Ce dernier ne compte plus tant comme personnage unique et singulier que comme caractère, dont les traits peuvent se retrouver chez n’importe qui. Pour renforcer cette dilution du personnage machiavélique, les rôles ne sont pas fixés, chacun des acteurs hommes interprète successivement Richard, qui cesse d’être un corps pour devenir une pure psychologie. La même logique de dispersion du récit se retrouve dans l’ouverture de la pièce quand, après un prologue dansé silencieux, des spectateurs se lèvent à l’unisson et se frayent un passage jusqu’à la scène.

Les vers sont performés, les acteurs déclament le texte tout en suivant une chorégraphie précise. Ils s’engagent physiquement lors de dialogues qui tournent parfois à la rixe. Ils ne quittent jamais leurs habits ordinaires, tout au plus enlèvent-ils quelques couches selon les circonstances, comme lorsqu’ils se changent en une troupe de soldats débraillés avançant d’un pas égal. La panoplie d’objets, comme celle de vêtements, est restreinte : une interminable table de banquet qui structure la scène ; des animaux empaillés qui fonctionnent comme symboles et personnages ; une collection de rideaux colorés, servant de fonds, de cape et de robe, dont le plus énorme, un rideau de velours gris, se change de nappe en lourde robe, écrasant la reine tandis qu’elle maudit la terre entière pour ses malheurs. En dépit de cette limitation les comédiens enchaînent des effets de mise en scène éphémères à l’efficacité visuelle évidente.

Les scènes dialoguées alternent avec des scènes dansées, où les corps, au rythme de la musique, se synchronisent en des chorégraphies et des tourbillons sans fin. Cette dernière figure est récurrente, les acteurs se lancent dans une poursuite sans queue ni tête, happés par le mouvement général, ils s’écroulent et on les relèvent pour que rien n’entrave leur course inexorable. La mise en scène joue beaucoup du contraste, enchaînant de manière abrupte des séquences intenses où les corps courent partout et la musique assomme le spectateur, avec des silences soudains et profonds durant lesquels les acteurs restent figés et le spectateur coi. Cependant, l’abus du contraste dessert finalement le rythme de la pièce qui s’avère un peu monotone, les montées progressives et les arrêts brusques finissent par être prévisibles et perdent de leur effet.

Nathalie Béasse surajoute au texte original déjà très dense et riche politiquement une mise en scène complexe et hachée, ce qui rend l’ensemble touffu et difficile d’accès, les deux couches, texte et mise en scène, jouant finalement presque l’une contre l’autre. Reste une impression de tourbillon et de décentrement qui rend l’expérience de cette adaptation très originale.

Vu au Théâtre de la Bastille à Paris. Conception, mise en scène et scénographie Nathalie Béasse. Avec Sabrina Delarue, Étienne Fague, Karim Fatihi, Erik Gerken, Béatrice Godicheau, Clément Goupille et Anne Reymann. Photo de Wilfried Thierry.