Photo @Simon Gosselin

On traversera le pont une fois rendus à la rivière, l’Amicale de production

Par François Maurisse

Publié le 2 mai 2017

Présenté en live au 104 et diffusé en direct sur internet du 24 avril au 14 mai 2017 à 20h30, On traversera le pont une fois rendus à la rivière est un spectacle hybride interrogeant, comme souvent dans les créations de l’Amicale de production, le dispositif théâtral et les relations entre le spectacle et ses spectateurs. Dans cette création en particulier, ce sont les rouages même de la fiction et les fils tendus de la narration qui sont mis à nus.

Une enveloppe est distribuée à chaque spectateur à l’entrée de la salle. Elle est scellée et ne doit être ouverte seulement quand il le lui sera indiqué. Au tout début de la représentation, déjà, les supports de la narration sont démultipliés : d’un côté du plateau deux comédiens présentent en silence une série de pancartes expliquant la situation mise en place, d’un autre côté, un personnage dans la cabine insonorisée d’un tracteur décrit ce qu’il est en train de se passer aux auditeurs assistant à la représentation radio-diffusée par leurs ordinateurs. Il s’agit alors de faire advenir la fiction. Mathilde Maillard se met à arpenter l’espace du plateau. Très vite, on se rend compte que le bruit de ses pas est pré-enregistré. Un moment, elle s’arrête, alors que le bruitage associé à ses pas continue. « À partir de ce moment là, on peut faire ce qu’on veut. » C’est alors que le récit commence.

En panne au bord d’une route nationale de la région des Combrailles, elle erre un temps avant de trouver, au beau milieu d’une pâture, un homme, Jacques, dans son tracteur. En s’approchant, elle se rend compte qu’il est en train de diffuser une émission de radio plus ou moins pirate sur internet. Puis Samuel surgit. À trois, ils commencent une série d’expériences, essayant d’inverser les rapports entre émetteurs et receveurs, ou permettant à ces derniers d’élargir leur capacité d’agir. Une série de questions est posée aux auditeurs (dont on ne sait pas vraiment s’il sont réels ou pas), et chacun de ses jeux (« le hackage de cerveau », « la projection mentale ») tente tant bien que mal de faire advenir la communauté, insistant, dans notre contemporain 2.0, sur l’importance du partage, de la communication, de l’être ensemble. Jacques propose qu’un auditeur appelle un téléphone présent sur le plateau pour qu’un moment soit partagé avec lui, en silence. Samuel de conclure, en branchant un ensemble de bûches électroniques : « Venez avec nous près du feu, ce sera plus sympa ». Cette fois, ce sont les spectateurs présents dans la salle qui sont invités à participer à une expérience. Chacun ouvre son enveloppe pour trouver des indications pour appeler à notre tour un numéro de téléphone. Cette manipulation nous permettra de générer une suite d’accords de musique pour accompagner la guitare de Jacques, assis au coin du feu. Alors que l’orage s’annonce, les auditeurs sont invités à se construire une cabane dans leurs intérieurs et nos personnages font de même, réunis sous une bâche anti-pluie. Tous s’endorment. Et au réveil, c’est l’heure des adieux pour le trio qui décidera, finalement, de ne pas se séparer tout de suite. Puis « on peut retrouver le réel ».

Dans cette atmosphère bonhomme et dépouillée des artifices habituels du théâtre, l’Amicale de production tente de faire naître un récit qui semble se trouver sur la frontière même entre fiction et réalité. Mis au travail, les spectateurs (qu’ils soient présents ou en ligne) ont aussi un rôle actif dans la construction du spectacle. A travers ces expériences collectives, c’est le processus du spectacle en train de se faire qui est dévoilé. Mais au delà de ces questions, l’Amicale de production semble vouloir insister sur le potentiel poétique de ces situations, à la fois attendrissantes et burlesques. Bien que cela tienne à peu de choses, les spectateurs sont bel et bien embarqués, ballotés entre le récit et la réalité, l’espace de la fiction et la salle de spectacle.

Vu au Centquatre-Paris. Conception Antoine Defoort, Mathilde Maillard, Sébastien Vial. Photo © Simon Gosselin.