Photo © Marc Ginot

Programme Commun : Tonitruants rituels

Par François Maurisse

Publié le 19 mars 2018

Festival fleuve, le Programme Commun de Lausanne permet, en synergie, de faire le point sur le paysage coloré et contrasté de la création spectaculaire contemporaine. Accueillies au Théâtre Vidy-Lausanne (qui est à l’initiative du festival), à l’Arsenic, au Sevelin 36 ou encore à la Manufacture, les pièces présentées sont aussi diverses que les formes visibles de nos jours dans les champs théâtral, chorégraphique et performatif. La chorégraphe suisse Marie-Caroline Hominal et le metteur en scène argentin Rodrigo García y ont chacun présenté leur dernière création.

Vengeance d’outre-tombe

Pour sa nouvelle création, la danseuse et chorégraphe Marie-Caroline Hominal a décidé de renverser les habitudes du métier et a demandé au tonitruant scandinave Markus Öhrn de la mettre en scène. Dans Hominal / Öhrn, elle se soumet donc au bon vouloir d’un autre, comme pour exagérer encore les rapports de forces induits dans les relations entre un porteur de projet et ses collaborateurs. Pour filer la thématique, Öhrn choisit donc de faire d’Hominal une marionnette grotesque, à l’effigie de sa propre grand-mère, morte il y a quelques années après avoir vécu toute sa vie dans un petit village du nord de la Suède. Se dessine alors une fable gothique et insolente, dans l’exagération absolue de tous les artifices du théâtre. Les sons, les lumières et les actions de la performeuse sont toujours plus grandiloquents les uns que les autres, manipulés par Öhrn en fond de plateau, derrière une console.

Actionnant différentes étapes d’un de rituel de résurrection, la performance cherche à rendre hommage à cette femme et à sa vie passée sous la domination de son mari, de ses chiens, de la routine. La marionnette cadavérique, désarticulée, affublée d’un masque monstrueux n’hésite pas à jouer avec son sexe (tout aussi monstrueux), manipulant des substituts phalliques (un serpent, un godemichet) avec violence, fantasque grossière et grinçante. La performance, fracassante et dégoutante assume sa part de gothique, aussi satanique que tendre, en se concentrant sur une image unique, celle de la morte sortant peu à peu de son cercueil. Comme une vengeance posthume, les procédés déploient une musique assourdissante, des hurlements d’outre-tombe et un sujet piquant, pour tenter sans doute de réveiller les morts, mais surtout les vivants.

Le pourfendeur des lieux communs

Le trublion argentin Rodrigo García, encore aux manettes d’hTh (humain TROP humain) – CDN de Montpellier, livre ici le dernier né des nombreux opus qui forment une oeuvre insolente, bordélique, mais cohérente dans sa force subversive et insolente. En forme de télescopage théâtral et visuel, Evel Knievel contre Macbeth (Na terra do finado Humberto) se savoure comme une fable aussi poétique, belle, que drôle, accueillant à bras ouverts l’absurdité et l’hystérie du monde. Dans un éclatement dramaturgique étourdissant, convoquant de multiples médiums comme pour contourner toujours mieux son sujet, Rodrigo Garcia parvient à défaire lentement les attentes des spectateurs.

Des extraits vidéos tournés au Brésil, des fragments de journaux intimes projetés et performés par les interprètes, des vidéos réalisées en animation 3D, des guerrières déchaînées en armures, un costume de dinosaure de série B sous lequel se cache un jeune adolescent xylophoniste, tout se confronte au plateau pour désosser les squelettes des deux mythes auxquels Garcia s’attaque cette fois : le cascadeur à moto américain Evel Knievel et le théâtral Macbeth. Avec cette pièce, il oeuvre à la mise en scène éparpillée d’un duel, d’un choc de titans issus de mythologies différentes, l’anti-héros shakespearien harcelé par les fantômes d’une culture savante contre le kitchissime cascadeur, transformé ici en héros pourfendeur des lieux communs. Il en ressort des images impressionnantes, parfois attendrissantes, donnant la sensation d’avoir été conçues par un grand enfant pas sage – à l’image de cette performeuse se vautrant dans la peinture, comme si le metteur en scène cherchait lui-même à se noyer dans les sables mouvants de la représentation.

Vu dans le cadre de Programme Commun à Lausanne. Hominal/Öhrn. Concept Marie-Caroline Hominal. Mise en scène Markus Öhrn. Directeur technique, son et graphisme Damiano Bagli. Masques Tilda Lovell. Knievel contre Macbeth. Texte, espace scénique et mise en scène : Rodrigo García. Lumière Sylvie Mélis. Vidéo  Eva Papamargariti, Ramón Diago, Daniel Romer. Son Daniel Romero et Serge Monségu. Photo © Marc Ginot.