Photo Caroline.Ablain

Professor, Maud Le Pladec

Par Céline Gauthier

Publié le 13 avril 2016

Professor met en scène trois interprètes qui explorent l’imaginaire du son et la musicalité du corps. Les danseurs suggèrent dans leurs gestes un espace pour faire sentir l’intensité du flux musical : un spectacle synesthésique qui bouleverse le corps pour raviver la force évocatrice du geste.

Dans la pénombre, un danseur exécute avec grâce les gestes du chef d’orchestre, et ses mains semblent dessiner un arc continu. On le voit de profil, comme si nous occupions l’espace intermédiaire entre l’orchestre et la salle ; une position labile dans laquelle prendra forme toute la pièce. Tout geste est musical, il jaillit des paumes ouvertes comme un espace donné à chaque note de la partition de Fausto Romitelli, divisée en trois « leçons » d’une musique savante, douce mais parfois grinçante, parcourue de stridulations et de feulements. Le danseur traduit les hésitations du violon par une oscillation ténue de tout le corps, il incorpore le son du bout du doigt, le triture de la langue et roule des yeux exorbités. Une musique presque charnelle, lorsque les violoncelles résonnent d’un souffle long, pareil à la voix humaine ; le danseur semble happé par le sol. Alors demeurent quelques instants suspendus sur la scène vide, un espace laissé au silence, offert au geste imaginaire.

Les danseurs recueillent dans la musique les formes d’une hospitalité singulière, ils habitent la mélodie presque tactile, et le solo se fait duo tant chaque note est présente dans leurs corps, impalpable mais si troublante, jusqu’à parfois d’un geste écarter les sons de la main, les chasser comme des mouches, lorsque les notes bouleversent l’équilibre du corps. Le rideau de fond de scène s’ouvre doucement et révèle la présence d’un guitariste qui compose de longs riffs mélodieux, et son instrument semble vibrer avec lui.

On se prend à le regarder autant qu’à l’écouter, à voir le chemin des doigts sur les cordes, la torsion des épaules et le buste ployé pour accompagner le geste des mains. Le danseur et le musicien se font face et chacun offre son geste à l’autre tandis qu’ils nous apparaissent en ombre chinoise sur les rideaux des coulisses. Ils s’ouvrent sur un duo formé de deux hommes en costume noir, ils se poursuivent derrière le décor, ponctuée d’une pantomime très cinématographique. Ils se retrouvent ensuite tous trois à l’avant scène, accompagnés d’une musique plus mélodieuse, et côte à côte naissent des personnages mutiques dont les traits se distordent pour pour exprimer les pleurs ou la colère lente et silencieuse jusqu’à fondre dans le sol, une performance qui tient moins du mime que de la mise en scène d’un abandon de soi, de la traversée collective d’états corporels.

On perçoit comment l’imperceptible variation du dessin de leurs mains transforme notre perception du geste, alors que tour à tour ils recueillent, modèlent et s’appropriant le geste de l’autre. La pièce s’achève lorsque sous une lumière rougeoyante un danseur approche ses mains de son visage, la paume des mains offerte vers nous avec humilité ; un unique flash de stroboscope et le plateau s’éteint sur cette diffraction ultime du son et du geste.

Professor a l’audace de repenser les relations entre le mouvement et sa musicalité, ici fondées sur un travail conjoint d’écoute, une connivence tactile entre le geste du danseur et celui du musicien. La pièce parvient avec brio à se distancier d’une simple démonstration technique et conjugue le plaisir esthétique avec un humour léger et subtil ; une pièce menée de main de maître.

Vu à la Briqueterie. Conception et chorégraphie Maud Le Pladec. Musique Fausto Romitelli. Interprétation Julien Gallée Ferré, Steven Michel et Tom Pauwels. Lumière Sylvie Mélis. Photo Caroline Ablain.