Photo LaPiscine

La Piscine, Myriam Lefkowitz

Par Céline Gauthier

Publié le 6 décembre 2016

Sept chorégraphes (Myriam Lefkowitz, Valentina Desideri, Jean-Philippe Derail, Ben Evans, Alkis Hadjiandreou, Julie Laporte et Géraldine Longueville Geffriaud) se sont réunis pour offrir à autant d’invités une expérience sensible et partagée. La Piscine se veut une immersion ; une œuvre à activer entre le guide et celui qu’il accompagne : mystérieux programme dont l’un ni l’autre ne sortent indemnes.

Rendez vous est donné un samedi matin au centre nautique d’Aubervilliers. Autour de nous la ville s’anime et de la piscine s’élèvent en sourdine les cris des enfants, dans une persistante odeur de chlore. Le premier geste qui se tisse à deux est celui d’une rencontre : comme pour déjouer l’impatience du spectateur rompu à l’anonymat des salles obscures la chorégraphe nous accueille d’une poignée de main ; avec elle nous prenons le temps d’un échange impromptu autour d’un thé au gingembre. Dès lors se tisse la trame d’une intimité privilégiée qui n’aura de cesse de s’étoffer. Quelques mots sont griffonnés sur une feuille blanche, une carte de tarot tirée au sort dont l’image autant que la symbolique désigne le parcours que nous suivrons : geste du hasard offert comme une invitation à l’aventure.

Les yeux clos, dérouler ses pas sur le goudron puis tout à l’heure s’allonger, à la lisière d’un état inouï d’attention. Lorsqu’on ouvre fugacement les yeux après y avoir été invité par un frôlement des doigts dans le creux de la nuque surgissent devant nous des images volées, photographies urbaines qui l’une après l’autre s’accumulent sous la chaleur des paupières à mesure que nous cheminons. Au détour d’un souterrain on suffoque de ressentir physiquement, presque charnellement l’épaisseur et le silence d’un lieu à travers lequel on éprouve la présence de son propre corps et l’imaginaire sensoriel qu’il suggère. Sans l’appui du regard on se surprend à discerner avec une intense acuité de plus fines sensations, tactiles et kinésiques : on pressent dans un frisson les possibilités infinies qui s’offrent à nous.

Simultanément lumières, couleurs et souffles du vent transparaissent à travers la fine membrane des paupières et de peau à peau se transmettent subtilement les légères modulations du rythme de la marche. Cependant chaque geste suggère dès l’instant qu’il s’esquisse la possibilité d’être déjoué : si nos doigts s’entremêlent jamais ils n’édictent le chemin que nous devons suivre. D’un frôlement, d’une pression sur la paume de la main on se laisse guider sans jamais s’abandonner, pour suspendre un instant son intention afin d’éprouver aux confins de l’épiderme les multiples strates de la ville. Accueillir auprès de soi celui qui nous guide et recevoir comme un seul mouvement, s’accorder sans un mot avec lui, tacitement. Le plaisir est exquis de se sentir de nouveau vulnérable, dessaisi du regard pour qu’enfin s’élève la porosité insoupçonné de nos corps attentifs au moindre toucher, parfois léger comme une plume. Dès lors s’abolissent les carcans du regard et de l’entendement, comme une invitation à suspendre un instant notre incrédulité.

À notre retour au centre nautique quelques instants nous sont laissés pour faire résonner à deux le chemin parcouru. On s’efforce de transcrire par la voix l’espace de tous les possibles tel qu’il s’est laissé entrevoir les yeux clos, pour faire advenir jusqu’à soi les mots nécessaires. On s’en retourne avec pour seul indice quelques feuilles de papier pliées en quatre dans sa poche.

Vu / Vécu au Centre nautique d’Aubervilliers. Production. Les Laboratoires d’Aubervilliers et le CG93, avec le soutien d’Est Ensemble. Photo Laetitia Striffling.