Photo © Fernanda Tafner

L’œil la bouche et le reste, Volmir Cordeiro

Par Céline Gauthier

Publié le 10 mars 2017

Avec L’œil, la bouche et le reste, le chorégraphe Vomir Cordeiro livre une pièce assurément conceptuelle, désireuse d’explorer l’imaginaire gestuel puisé dans le motif des yeux. Avec ses trois partenaires il dit se livrer à un « exercice de pensée par la vision, où l’œil figure comme protagoniste d’un mouvement de capture du monde ». Mais son projet résiste mal à l’épreuve de la scène et les danseurs ne parviennent pas à lever l’ambigüité de son propos : la pièce en demeure énigmatique, voire quelque peu antipathique.

Volmir Cordeiro passe parmi les rangées de spectateurs, se frotte les mains l’une contre l’autre ; certains dans la salle l’imitent. Les paumes de main ainsi échauffées sont doucement appliquées sur les yeux : on imagine la sensation de chaleur qui s’en dégage, le calme qui s’impose. À la manière d’un premier état d’éveil, d’une attention progressivement étirée de lui jusqu’à nous il désigne la cavité des globes oculaires et matérialise d’un signe de main la trajectoire du regard. Puis ses yeux clignent ou s’écarquillent, et ces impulsions infimes enflent et se traduisent dans un mouvement de tout le corps.

La pièce semble être régie par un système de consignes, et la profération d’une action ou d’un nom paraît anticiper sa mise en pratique : les jeux de sonorités des mots prononcés dans différentes langues énoncés avec force résonnent comme un appel commun qui unirait les membres du quatuor. Pourtant ces nombreuses tâches effectuées à grand renfort de bruits de bouche ne semblent se succéder qu’au prix d’une scénographie brutale et douloureuse, les scènes s’accumulent sans que jamais les gestes n’en guident la progression.

En résulte l’impression d’une proposition encore inachevée, sous laquelle affleure pourtant quelques idées singulières qui restent encore à éprouver : on frissonne de l’aplomb avec lequel deux danseurs dévoilent une bouche béante, ogresque, surmontée d’une paire d’yeux au regard d’un calme troublant. Leurs visages semblent déformés par cette cavité profonde et obscure qui paraît absorber l’énergie de leurs mouvements, d’une lenteur insondable.

Là semble s’esquisser enfin un véritable projet scénique et gestuel, tout comme dans le solo d’une danseuse qui se cure le nez consciencieusement, introduit un à un chacun de ses doigts dans sa narine, en déforme la fente. Les sinus presque atteints elle s’en détourne et se penche sur son nombril, lui aussi à son tour trituré. Ses mains ensuite parcourent tout son corps, des narines jusqu’aux lèvres, de la nuque à l’aisselle, saisis par une exploration nourrie d’une curiosité toute enfantine, les cheveux ébouriffés par le plaisir manifeste de pétrir la matière souple de la peau.

La pièce ainsi se déploie comme l’énumération d’une collection de gestes et d’attitudes puisées dans nos postures les plus quotidiennes, mâtinées de rauques borborygmes ou de feulements stridents : nous voici observateurs impuissants d’un laboratoire pernicieux où les danseurs paraissent s’agiter comme des animaux captifs. Mais la salle comme la scène demeurent durant toute la pièce en pleine lumière, comme si nous devions assumer sans relâche la posture inconfortable de voyeurs : face à nous une danseuse plaquée au sol voit son téton bestialement léché par un danseur, presque croquée, dévorée puis engloutie sous les bruits de succion. Très vite tous s’entremêlent dans une orgie cannibale et bruyante, curieux portrait sonore d’une peau malaxée.

L’expressivité exagérée des danseurs suscite souvent le malaise, d’autant qu’ils semblent ignorer qu’ils charrient avec eux des monceaux de clichés. Volmir Cordeiro et ses partenaires se noient alors en gesticulations vaines et grotesques et leur danse bavarde n’en parait que plus prétentieuse.

Vu au Quartz de Brest, dans le cadre du festival DansFabrik. Chorégraphie Volmir Cordeiro. Interprétation : Volmir Cordeiro, Marcela Santander Corvalán, Isabela Santana et Calixto Neto. Photo © Fernanda Tafner.