Photo Photo © Konstantin Lipatov

Maud Le Pladec, La musique des gestes

Par François Maurisse

Publié le 19 février 2018

Le 8 février dernier, la chorégraphe Maud Le Pladec présentait, au coeur de la saison du Centre Chorégraphique National d’Orléans dont elle est directrice, une soirée double bill qui allait lui permettre de se présenter officiellement au public du territoire où elle officie depuis un an maintenant. Moto-Cross (2017), solo dans lequel les récits intimes croisent des événements médiatiques universels, puis Concrete (2015), pièce opératique secouant cinq danseurs et neuf musiciens de l’ensemble Ictus dans un même panier, se sont succédés dans les espaces du Théâtre d’Orléans.

« Ces deux créations sont les deux dernières pièces que j’ai créées, elles s’opposent mais aussi se complètent. » En effet si les deux projets sont d’apparence fondamentalement différents, ils partagent des endroits de convergence : un attrait pour l’imbrication de l’écriture du geste avec l’écriture musicale, lumineuse et spatiale. Tant et si bien que loin de proposer une image minimale ou retenue de leur chorégraphe, ces deux projets permettent de dresser le portrait d’une personnalité multi-tâches, agitée par de constantes interrogations.

Quand il s’agit de coupler la musique savante américaine avec une écriture du geste acérée dans Concrete, Maud Le Pladec envisage de « travailler sur une forme qui se voulait totale. » Tous les médiums présents au plateau entrent alors en synergie : la musique est jouée en live, les lumières sont manipulées sur la base d’une partition dynamique, les danseurs alternent des séquences solos avec des moments choraux. À la création de la pièce en 2015, Concrete permettait à son auteure de boucler un cycle de pièces autour de la musique post-minimale. « Concrete est devenue une pièce qui aboutit ce cycle et j’ai eu envie de pousser tous les boutons à fond, d’aller aux paroxysmes des relations musique/geste, musique/danse, musique/lumière, musique/plateau, musique/espace, musique/costume etc… Il s’agissait de voir comment les interactions entre ces différents médiums pouvaient être mis en jeu de façon concrète sous nos yeux au moment de la représentation. Ce qui donne une sorte de pièce entre le light-show, l’opéra rock, le concert, la chorégraphie, la chorégraphie concertante, le concert chorégraphié… nous avons mélangé les genres.»

Moto-Cross, est une forme plus resserrée. Si elle avait toujours travaillé de manière abstraite depuis le début de son travail de chorégraphe, Maud Le Pladec a cette fois décidé de questionner une matière qui était à la fois réelle et intime. La musique tient cependant toujours un rôle fondamental : « Elle accompagne le discours à la façon d’un environnement, d’un paysage contextuel qui nous permet de dérouler le film des années 1980 aux années 2000. » Sur un promontoire au milieu de la salle, la silhouette casquée de la chorégraphe se lance dans un récit à la première personne, dépliant images, souvenirs et anecdotes comme si elle feuilletait avec nous les pages d’un album de famille. Pour écrire avec elle le texte de la pièce, l’auteur et metteur en scène Vincent Thomasset lui a demandé de rassembler des photos d’elle : « Ce devaient être des photos qui avaient un sens pour moi, qui étaient représentatives d’un certain moment, d’un souvenir avec mes parents, mon frère, la danse, ou autre chose : des photos qui faisaient sens. » La bande-son électro-pop, faisant la part belle au groove nostalgique des « jeunes gens modernes », du french boogie puis de la french touch a été pensée avec le DJ Julien Tiné. « Nous jouons cette playlist de manière chronologique au plateau. Nous avons choisi des titres qui étaient comme des archétypes de ces époques, les années 80, 90 et 2000, de leurs couleurs, leurs sonorités, leurs humeurs significatives.»

Qu’elle soit pensée comme un background contextuel (Moto-Cross) ou comme source première de tous les gestes artistiques du spectacle (Concrete), la musique mérite toujours, chez Maud Le Pladec, une attention particulière. Mais il y aussi sans doute un autre dénominateur commun entre les pièces de la chorégraphe, qui ressemble à une signature tant il est frappant : l’énergie enivrante, débordante et enfiévrée qui s’en dégage, insistant volontiers sur le pouvoir émancipateur, joyeux et libérateur du geste dansé.

Vu au Théâtre d’Orléans. Photo © Konstantin Lipatov.