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Le Retour d’Ulysse dans sa patrie, Mariame Clément

Par Yannick Bezin

Publié le 14 mars 2017

Le Théâtre des Champs-Élysées propose une production pour le moins hétéroclite du Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi. Mariame Clément, qui signe la mise en scène, semble avoir voulu dépoussiérer le cadre de l’action en optant pour une approche résolument « pop ». S’agissait-il en en partageant les codes, d’attirer un public plus jeune au Théâtre des Champs-Élysées ? On n’échappe donc pas aux MacDonald’s, au Coca-Cola, aux cartes Visa, aux vacances en Grèce, etc. Les seules concessions au monde antique se trouvent dans quelques éléments de costume. Le cadre, malgré le changement des toiles de fond, plus ou moins kitsch, restera le palais d’Ithaque, abstraction cependant d’un salon haussmannien.

Certaines propositions scéniques visent un peu lourdement à faire rire, mais à peine font-elles sourire : les distributeurs de billets et de sodas dans la salle (à moins que ce ne soit l’entrée ?) du palais où les prétendants veulent rivaliser ; les bijoux offerts à Pénélope, substitués ici par des maquettes de célèbres bâtiments modernes (la tour Burj al Arab de Dubaï entre autres) ; les bulles d’onomatopées dans le style pop-art descendant des cintres quand Ulysse massacre les prétendants ; l’image gigantesque d’un hamburger au début du troisième acte lorsque Irus se plaint de la faim. Ces éléments décoratifs ne peuvent véritablement tenir lieu de mise en scène. Avec beaucoup moins de moyens scéniques, la production de Christophe Rauck présentée en 2013 au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis était pourtant bien plus cohérente et émouvante.

L’esthétique proposée par Mariame Clément pour ce Monteverdi pourrait convenir à un répertoire lyrique beaucoup plus récent. Laurent Pelly a déjà brillamment réussi dans cette voie, notamment dans ses mises en scène d’Offenbach. Et cette production serait en effet bien moins surprenante sur la scène du Théâtre du Châtelet que sur celle du Théâtre des Champs-Élysées ! Quelques propositions sont pourtant intéressantes. Tous les personnages sont sur scène, alignés face aux spectateurs au moment du levé de rideau, avant la symphonie qui sert d’ouverture, comme une seule et même troupe d’acteurs. L’Aréthuse, la fontaine dans laquelle Ulysse est censé se plonger pour se transformer en vieillard, est incarnée par trois jeunes femmes, façon meneuses de revue, dont les plumes et les voiles permettent d’opérer la transformation (un peu ridicule d’ailleurs) du héros. Les fréquentes attentes prostrées sur scène de Pénélope pendant que d’autres chantent et que l’action se poursuit sont cohérentes avec l’état affectif du personnage.

Alors que L’Orfeo de Monteverdi était destiné à un public limité d’amateurs éclairés, Le retour d’Ulysse dans sa patrie vise un public plus large. L’opéra est crée à Venise dont il intègre les traditions scéniques en introduisant des personnages populaires, notamment Irus mais aussi, dans une moindre mesure, le couple formé par Mélantho et Eurymaque. Se côtoient donc des registres de langues mais aussi des compositions et des instrumentations extrêmement différentes allant du récitatif statique des dieux à la bouffonnerie d’Irus, en passant par les lamentos d’Ulysse et de Pénélope contrastant avec les roucoulements de Mélantho et Eurymaque. Cependant ce n’est pas parce que Monteverdi fait se côtoyer hommes et dieux qu’il les confond ou réduit ces derniers à n’être que le reflet de l’humaine condition. Si les registres se côtoient, jamais ils ne se mêlent et la musique le souligne de façon particulièrement explicite. Or, la mise en scène proposée par Mariame Clément repose sur un principe de prosaïsation qui semble confondre monde humain et monde divin en inversant les rôles : les humains semblent habités de sentiments ou de mobiles bien plus nobles que ceux des dieux eux-mêmes.

L’Olympe est réduit ici à un petit bar de province, délimité par un cadre en surplomb de la scène principale qui avance et recul dès que les dieux sont convoqués dans l’action. Junon qui semble en être la tenancière fait le service. Jupiter est un vieillard aussi barbu que ventru, Neptune une sorte de capitaine Haddock hirsute et Minerve une jeune fille d’apparence vulgaire. Tout ce petit monde est attablé devant son verre d’alcool. La dernière scène où les dieux apparaissent semble confirmer cette compénétration des deux mondes puisque les dieux meurent des flèches qu’Ulysse a lancé au ciel, après avoir massacré les prétendants.

La direction d’Emmanuel Haïm n’est pas sans une certaine élégance nostalgique mais manque singulièrement de nerf lorsque la partition l’exige et conduit à mettre la musique au second plan, échouant ainsi à porter l’action. Vocalement, la distribution est pour le moins contrastée. Si l’ensemble des seconds rôles est absolument parfait, le duo central incarné par la mezzo-soprano Magdalena Kožená et le ténor Rolando Villazon l’est beaucoup moins. Bien qu’elle ait souvent fréquenté ce répertoire et que son timbre ne soit pas ici en question, Magdalena Kožená ne parvient pas à convaincre. Pénélope est pourtant un personnage déchiré mais d’un courage sans faille, or bien peu de cette douleur transparait dans son grand air ouvrant l’opéra. La mise en scène ne l’aide certes pas puisqu’elle déclame à genoux dans un lit en se tordant dans sa couette… La performance de Rolando Villazon qui devait marquer le retour sur la scène lyrique parisienne du ténor mexicain, confirme au contraire les inquiétudes sur la santé vocale du chanteur. Il ne dispose plus aujourd’hui des moyens vocaux pour satisfaire aux exigences du rôle d’Ulysse. Il compense heureusement cette déficience par un engagement scénique énergique mais qui ne fait que souligner d’autant plus les accidents de la voix.

La distribution des autres rôles est au contraire excellente et réserve de magnifiques moments. L’Olympe est vocalement de très haut niveau. Anne-Catherine Gillet incarne une Minerve vive et déterminée. Lothar Odinius et Jean Teitgen, malgré leurs oripeaux, parviennent à camper un Jupiter et un Neptune emprunts de grandeur. Coté humain, la performance du duo Mélantho et Eurymaque, incarnés par Isabelle Druet et Emiliano Gonzalez Toro, est à relever par sa justesse et l’harmonie parfaite des voix. Enfin Kresimir Spicer offre un magnifique Eumée, digne et humble. La fraîcheur, la maîtrise et la beauté de ces voix conduit à imaginer une redistribution des rôles, car ce sont elles qui parviennent à rendre cette production agréable malgré les surprises qui ne cessent de surgir sur le plateau.

Vu au Théâtre des Champs-Élysées. Direction Emmanuelle Haïm. Mise en scène Mariame Clément. Scénographie et costumes Julia Hansen. Photos © Vincent Pontet.