Photo Photo © Anne Van Aerschot

Meyoucycle, Eleanor Bauer

Par Guillaume Rouleau

Publié le 13 mai 2016

Pour ouvrir la nouvelle édition des Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, le Nouveau théâtre de Montreuil programmait – en World premiereMeyoucycle conçu par Eleanor Bauer et Chris Peck ainsi que les membres de sa non-profit organization, GoodMove. Un « moi-toi-cycle » qui fait suite à (BIG GIRLS DO BIG THINGS) en 2015 et qui confirme la capacité d’Eleanor Bauer à changer de peau(x). Après celle de l’ours, celle de la working girl contestataire, dans une interprétation collective réunissant trois autres danseurs/chanteurs ainsi que trois musiciens d’Ictus, ensemble bruxellois de musique contemporaine associé à ROSAS et P.A.R.T.S. où Eleanor Bauer a fait ses classes.

À celles et ceux qui se sentent oppressé-e-s par les interactions sur les réseaux sociaux, la publicité, le fichage médical, etc. Eleanor Bauer donne une voix par un spectacle réactionnaire. La vie de consommateur et de consommé par les stratégies capitalistes est ici dénoncé par le théâtre, le concert, la comédie musicale. Ainsi, le texte que lit Tarek Halaby dans le noir lorsque le public s’installe raconte une vie faite de réponses à des mails, mails de plus en plus concis, concision de plus en plus aguicheuse, aguichage pour une rémunération, rémunération qui implique encore plus de mails et amène à un rejet. Les voix s’accordent pour dire « non » à cette accumulation d’informations sur les données des usagers, « non » à ces entreprises qui s’empare du vivant pour le modeler selon leurs intérêts : l’argent, le contrôle, la similarité.

D’elle à nous, d’eux à moi, Eleanor Bauer nous dit ses espoirs et ses craintes pour la communauté. Très mélodieuses, les compositions sont interprétées avec une justesse – par la claviériste Gwenaëlle Rouger, le guitariste/bassiste Kobe Van Cauwenberghe et le batteur Gerrit Nulens – qui croise légèreté et gravité. Légèreté des folk songs aux paroles facilement mémorisables. Gravité des thèmes car au-delà de la consommation immédiate, palpable, ce sont nos environnements, nos modes de vie qui sont interrogées. Quelles sont nos actions ? Qu’est-ce qui nous émeut ? À quoi pensons-nous ? Ces questions dénoncent les stratégies de ces entreprises qui font nos actions (comme a pu le mettre en valeur Julien Prévieux dans What Shall We Do Next, sur les brevets gestuels), nos émotions (par les séries télévisées de Netflix par exemple) et nos pensées (le plus pour le mieux). Tarek Halaby, précédemment cité, Inga Hakonardottir et Gaël Santisteva accompagnant Eleanor Bauer de leurs voix engagées.

Le décor est fait d’un peu qui suffit. Des animaux et palmiers gonflables. Des ampoules suspendues par de longs câbles. Une veilleuse sur la gauche. Des éclairages tamisés autour des claviers. Une grande lune est à l’arrière-plan. Rappel de la nature. D’une nature qui évoque le pendant à la culture mais aussi l’isolement. Ancienne critique que celle de l’artificiel contre le naturel. Ancienne critique aussi que celle de la vie authentique contre celle de la vie aliénée. Quand on écoute ces chants, quand on regarde ces pas, suite de petites chorégraphies, on aperçoit des revendications exhumées dans un contexte immédiat. Celui où les nouvelles technologies, nombreuses, adaptées à chaque utilisateur, à une masse d’utilisateurs, deviennent de dangereuses technologies.

C’est un ras le bol général. Renoncer à utiliser ces logiciels, ces produits dispensables occupant une grande partie de notre existence, dans une boulimie d’informations, est sans doute la preuve qu’une indépendance subsiste. Indépendance exprimée par le refus de continuer à utiliser twitter par exemple, qui pour Eleanor Bauer a été consommé lorsque la marque de lingerie Victoria Secret l’a contacté pour placer un #Victoria à chaque fois qu’était écris le mot « secret ». Motivations d’un tel refus qui amènent à penser, sans relâche, une alternative à l’industrie par « them + me + you ».

Vu au  Nouveau théâtre de Montreuil dans le cadre des Rencontres Chorégraphiques. Conception Eleanor Bauer et Chris Peck. Costumes Sofie Durnez. Photo © Anne Van Aerschot.