Photo ©Erwan Fichou

Théo Mercier & Steven Michel, Affordable solution for a better living

Par François Maurisse

Publié le 25 octobre 2018

Le plasticien Théo Mercier signe sa quatrième création pour la scène avec Affordable solution for a better living. Après Du futur faisons table rase, fable dystopique dans laquelle il mettait déjà en scène les performeurs Marlène Saldana, Jonathan Drillet et François Chaignaud, la parade amoureuse Radio Vinci Park, co-signée avec ce dernier, et La Fille du Collectionneur avec Marlène Saldana en héritière dandy désabusée, l’artiste partage cette fois l’affiche avec le danseur et chorégraphe Steven Michel. Théo Mercier semble toujours vouloir concevoir des dispositifs visuels et scénographiques dans lesquels les corps sont soumis aux objets. S’il porte les projets en son nom, l’intérêt est sans doute de permettre l’achoppement d’un savoir-faire esthétique, visuel et d’une pratique chorégraphique bien vivante, mais souvent reléguée au second plan.

Affordable solution for a better living est un des slogans de la firme suédoise Ikea. Le fabricant de meuble en kit propose en effet, à moindre coût, de révolutionner le quotidien d’une classe moyenne globalisée, lui donnant accès à des objets bon marchés, jolis et pratiques, pour meubler ses intérieurs confortables. Le géant du design accessible est aujourd’hui un passage obligé pour chacun, de l’étudiant qui s’installe dans son premier appartement au couple qui souhaite aménager la chambre de son enfant à venir. Théo Mercier et Steven Michel s’intéressent ici au dommage collatéral du quasi-monopole de la firme : la standardisation de nos intérieurs, la perversion de la sur-consommation, l’asservissement de l’homme aux choses qui l’entourent.

Le texte du spectacle, signé Jonathan Drillet, s’inscrit dans deux régimes différents. Une voix off féminine, en deus ex machina froid et désincarné, semble déployer en direction du danseur le mode d’emploi de sa propre vie. Lui conseillant la persévérance, l’application, le calme, elle encourage en effet l’individu sur le plateau – vêtu d’une combinaison intégrale dont l’imprimé imite le corps d’un homme blanc, brun, tout aussi standard que le meuble qu’il est en train de construire – à gommer toutes ses particularités et son originalité au profit d’un corps normalisé, dont le comportement uniforme ne doit pas faire de vagues. Dans un deuxième temps, une fois la première combinaison enlevée, Steven Michel arbore un zentaï imprimé à la manière d’un écorché. Muscles, os et tendons sont dévoilés, comme les uniques outils mis à disposition de la personne du danseur. La voix off qui s’élève alors, masculine cette fois, semble être celle d’une parole intérieure, le ressassement d’un personnage débordé par son environnement.

Le danseur est en effet très vite dépassé par son milieu. Au début du spectacle, il se tient seul au plateau, agité de mouvements robotiques – inspirés des fameux modes d’emploi de montage des meubles –  devant quelques tas de vis et de planche, puis commence rapidement à construire une bibliothèque Kallax, best seller de la marque. Peu à peu, le plateau se remplit d’objets divers, parcs pour enfant, fauteuil, étagères, commode, lampe et armoire jusqu’à ce qu’il devienne lui-même grondant, orageux, inaccueillant pour l’individu qui tente coûte que coûte de l’habiter.

Affordable solution for a better living marque par l’attention particulière que Théo Mercier porte à la scénographie et à l’esthétique de son spectacle. Sous une lumière affûtée, dans un espace blanc immaculé, chaque meuble semble être l’héritier usuel d’une pièce marquante de l’art minimal : Des étagères ressemblent aux Stacks de Donald Judd, un empilement de tables rappelle les sculptures de Sol LeWitt, l’armoire à taille humaine finissant par avaler le danseur semble être un hommage à la Box for standing de Robert Morris. Somme toute, et ce malgré une perfection esthétique certaine, Affordable solution peine à développer son sujet de façon originale. Quels sont les véritables effets d’une uniformisation globale de nos modes de vie ? Comment la standardisation de nos intérieurs peut encourager la tiédeur de nos comportements ? Quels sont les véritables impacts de notre surconsommation sur notre planète ? Ces questions restent toujours sans réponse.

Vu à Nanterre Amandiers. Conception, chorégraphie et scénographie Théo Mercier et Steven Michel. Texte Jonathan Drillet. Création sonore Pierre Desprats. Création lumière Éric Soyer. Costumes Dorota Kleszcz. Photo © Erwan Fichou.