Photo © Sanne Peper

Medea, Simon Stone

Par François Maurisse & Wilson Le Personnic

Publié le 7 juin 2017

Metteur en scène d’origine Suisse, Simon Stone a fait ses armes en Australie où il s’est rapidement imposé sur la scène contemporaine depuis déjà une dizaine d’années, avant de commencer à tourner en Europe. Les spectateurs français ont découvert son travail la saison dernière au Théâtre Nanterre-Amandiers, avec son brûlant Thyeste d’après Sénèque. Cette révélation tardive fit l’effet d’un choc pour les spectateurs néophytes. Les présentations faites, nous sommes désormais prévenus : les créations de Simon Stone sont des immanquables. C’est donc avec une excitation non feinte que nous espérions sa version de Médée pour la troupe du Toneelgroep Amsterdam à l’Odéon. Et le spectacle parvient à combler nos attentes.
 
À la suite de The Fountainhead, mis en scène par Ivo van Hove aux Ateliers Berthier l’automne dernier, l’Odéon accueille une nouvelle fois la compagnie hollandaise Toneelgroep Amsterdam en ses murs. Simon Stone, accompagné de 6 comédiens d’exception, atomise Médée, oeuvre mythique aujourd’hui doublement millénaire, pour n’en garder que l’ossature : une femme rongée par l’amour, empêtrée dans un enchevêtrement d’obligations sociales, dépassée par les événements, qui se voit faire du mal aux gens qu’elle chérit le plus. Fasciné par l’histoire de l’américaine Déborah Green, qui a empoisonné son mari et ôté la vie à ses propres enfants dans les années 90, le metteur en scène réactualise ici le mythe antique et dresse le portrait bouleversant de cette femme prise dans l’escalade de la folie.
 
La mise en scène de Simon Stone prend place dans un grand white cube, un espace aseptisé qui permettra la dissection des passions des personnages. Au dessus d’eux, face au public, trône un grand écran blanc, qui s’abaisse de temps à autre comme un rideau, et qui reçoit des images filmées en direct depuis le plateau. Des très gros plans, cliniques, filmés à vue ou en hors-champs par les enfants, nous rendent spectateurs médusés de l’action, à la fois voyeurs avides et témoins à charge. A partir de la moitié de la représentation, une fine pluie de cendres tombe légèrement au centre de l’espace, souillant de noir le blanc immaculé du plateau. Ce monticule de matière permet la lente mise en place de l’image finale, pour laquelle la mère et les deux fils reposent, morts, ensemble, victimes malgré eux des engrenages du récit.
 
L’écriture du plateau est aussi abrupte que tranchante. Porté par des comédiens aussi photogéniques qu’incisifs (soulignons ici l’incandescence de Marieke Heebink), le texte, somme toute banal, permet d’enchaîner des scènes rendues stupéfiantes de naturalisme, opérant la froide autopsie du corps d’Anna, qui dans un dernier élan de vie, finira par commettre l’infanticide, préférant la mort à la résilience.
 

Invité pour la première fois à Avignon cet été avec sa nouvelle création Ibsen Huis, le metteur en scène sera également de retour à Paris la saison prochaine à l’Odéon (où il est désormais artiste associé) avec Les Trois Soeur, adaptation de Tchekhov (qu’il a déjà créé en langue allemande en 2016) avec une équipe de comédien français (parmi lesquels Valeria Bruni Tedeschi et Céline Sallette). Simon Stone est sans nulle doute aujourd’hui l’un des plus fiers représentant d’un théâtre contemporain à la fois puissant et subtil, s’attelant à la réactivation des mythes fondateurs de la tradition théâtrale occidentale pour en dégager la qualité eschatologique.

Vu au Théâtre de l’Odéon à Paris. Texte et mise en scène Simon Stone. Scénographie Bob Cousins. Lumière Bernie van Velzen. Photo © Sanne Peper.