Photo AuTemps photo Agathe Poupeney

Au temps où les arabes dansaient, Radhouane el Meddeb

Par Victoire Jaquet

Publié le 19 mai 2017

Présenté sur de nombreuses scènes internationales, le travail de l’artiste tuniso-français Radhouane el Meddeb s’inscrit en oeuvre depuis maintenant un peu plus d’une décennie. Avec plus d’une quinzaine de pièce chorégraphiées et/ou interprétées, le public accompagne la mutation d’un comédien à la danse contemporaine.

La création de Au temps où les arabes dansaient, pièce pour quatre interprètes, conçue en 2014 est soutenue dès sa création par le Centre de Développement Chorégraphique Toulouse Midi-Pyrénées puis au Centquatre-Paris. Au fil des années, la pièce continue d’être présentée, sur les scènes internationales comme dans les régions de France. Ce printemps, en plus de la biennale du Val de Marne, c’est à Nantes qu’elle fut programmée durant trois soirées, le Grand T offrait les 10 11 et 12 mai, la dernière occasion d’assister à la pièce pour la saison.

Au temps où les arabes dansaient, le titre à lui seul est évocateur…provocateur..! L’usage d’un imparfait suggérait que l’on veuille, ou que l’on puisse appréhender le passé d’une danse…? Ou, du moins que le temps d’une chorégraphie, on parte à sa recherche. Le pari lancé ne manque pas d’ambition, en effet, comment la danse de quatre jeunes interprètes formés au danses urbaines et à la danse contemporaine pourrait-elle effleurer la danse égyptienne du siècle dernier? Cette pièce se poserait-elle comme un hommage patrimonial aux danses égyptiennes popularisées par les comédie-musicales des années quarante à soixante et qui ne cessent depuis d’être diffusées à plus large échelle via le petit écran? Serait-ce une ode aux danseuses légendaires tel que Tahia Carioca, ou Samia Gamal, grandes interprètes de la danse orientale au cinéma? Certainement pas, ou alors pas uniquement,  le titre intervient comme un intercesseur, il n’est qu’une clef offerte au spectateur pour pratiquer, ensemble, avec le danseur, l’énigme d’une pièce contemporaine considérant la mémoire de la danse.

Risquant l’impatience de l’audience, la mise en scène débute longuement en fond de scène. Les visages des danseurs dissimulés dans une lumière obscurcie invite le regard à détailler les gestes des danseurs. Déhanchements, ondulations, torsions des corps dans de nerveuses oppositions… Les interprètes, chemises et pantalons de ville s’élèvent à la surface de minces tapis. Nus pieds, ils les piétinent, et les écrasent avant de les délaisser pour abonder vers nous. Frontalement, ils descendent la scène.

Entamant plus après la descente de la scène, la traversée des danseurs dans une énergie homogène donne l’impression qu’une vague énergétique se propage. A la lisière du public, sous une lumière dorée qui révèle enfin leurs visages, ils ouvrent l’espace de leurs paumes généreuses. Agités de spasmes, ils irradient l’air d’une gestuelle foisonnante, répétition, variations, approfondissement des premiers mouvements esquissés. Dans la proximité nouvelle, la netteté des figures est piquante, rassurante aussi comme une structure qui repose le regard. La présence des danseurs, loin de se diluer lascivement dans l’atmosphère, semble se régénérer dans la cadence collective: comme si la dépense incessante d’énergie des uns pouvait nourrir le mouvement des autres.

Le collectif se recompose en duos, trios, soli. L’hybridité des corps est richement travaillée : la délectation des danseurs dans le mouvement témoigne de sensibilités très distinctes, la matière corps qui se donne à voir est comme sculptée selon les rythmes de chacun. Les identités complexes surabondent : des postures passagères convoquent les codes orientalistes, des jeux sur l’androgynie, de fugaces images décadentes hantent également les danses, troublant les certitudes. Réactivant de saisissantes images du passé, l’ébullition heureuse que transmet la performance restitue les possibles qu’un patrimoine peut occasionner… Pour autant, la pièce ne présage d’aucune évidence sur le devenir de ces identités complexes.

Vu au Grand T à Nantes. Chorégraphie Radhouane el Meddeb. Avec Youness Aboulakoul, Rémi Leblanc-Messager, Philippe Lebhar et Arthur Perole. Photo © Agathe Poupeney.