Photo © Mélanie Pottier

Les perles ne font pas le collier, Dominique Brun & Sylvain Prunenec

Par François Maurisse

Publié le 9 février 2018

D’habitude empreint d’un calme monacal, le Collège des Bernardin est désormais secoué par une programmation artistique régulière. Pas de blasphème cependant, les événements accueillis respectent à coup sûr l’atmosphère propice au recueillement de cette architecture multi-séculaire. Se concentrant sur des pièces aussi chorégraphiques que musicales, cette programmation permettra notamment à Aurélien Richard (pianiste et chorégraphe) ou à Raimund Hoghe de venir créer dans le lieu. Le vendredi 2 février dernier, à l’occasion d’une carte blanche qui lui été confiée, le chorégraphe et danseur Sylvain Prunenec a invité sa comparse Dominique Brun pour présenter une soirée qui a rassemblé, sous le titre Les perles ne font pas le collier, une multitude de gestes chorégraphiques puisée dans une histoire plus ou moins récente de la danse.

Si Sylvain Prunenec a créé une quinzaine de pièces et a été interprète pour notamment Deborah Hay, Dominique Bagouet, Odile Duboc ou Boris Charmatz, Dominique Brun a depuis les années 2000 mis un point d’honneur à questionner l’essor de la modernité en danse et le reenactment à partir de fonds d’archives parfois partiellement lacunaires. En dansant d’abord avec le Quatuor Albrecht Knust puis en orchestrant seule des mises en scène des pièces légendaires de Nijinski, ou en brodant autour de leurs vocabulaires, elle s’est forgé une aura historienne et savante.

Le programme de cette soirée débute par L’Après-midi d’un faune de Nijinski (1912), élément déclencheur de la traversée historique et première pierre posée à l’édifice au renouvellement chorégraphique qui a marqué le siècle dernier. Eternité des formes, énergie érotique contenue dans le symbolisme de la représentation, le caractère de la danse des ballets russes est ici accompagné du violoncelle de Lucile Perrin, qui se charge à lui seul de l’arrangement de la partition musicale de Debussy. Dès la fin de cette pièce, Sylvain Prunenec nous intime de le suivre à travers l’espace des Bernardins, jusqu’à la grande nef, parmi la forêt de colonnes, esquissant de-ci de-là des gestes appartenant à des chorégraphies qu’il a pu traverser dans sa carrière. De suite, Dominique Brun, échevelée, se lance dans l’Hexentanz de Mary Wigman, donnant corps à cette danse située aux antipodes de celle de Nijinski tant elle est expressive, ancrée dans le sol et ses gestes projetés.

Lorsque Sylvain Prunenec reprend ensuite en vrac des extraits de pièces qui ont marqué son travail de danseur (Les petites pièces de Berlin de Dominique Bagouet, O,O de Deborah Hay, Insurrection d’Odile Duboc, une pièce de Trisha Brown pour la compagnie de Bagouet) la chronologie se trouble, lui même bâtissant un discours usant de retours et d’avances dans le temps, redoublant d’anecdotes, comme pour convoquer l’idée d’une mémoire du corps dansant sur laquelle il est parfois ardu de poser des mots, qui confond, au creux du mouvement d’un bras ou d’un pas de côté les pièces, les titres, les dates ou les chorégraphes.

Les deux danseurs/archivistes procèdent ensuite à la déconstruction rythmique de La Danse Sacrale, issue du Sacre du Printemps (1913), proposant une autre version épurée d’une pièce de Nijinski. Alors que Prunenec incarne l’Elue aux jambes tremblotantes enchainant les sauts et les tours, Brun compte les mesures de la musique de Stravinski a capella, pointant ainsi la complexité de sa composition, de ses accents, variations et syncopes. L’extrait est ensuite re-joué accompagné de la musique de Stravinski, soudant alors la boucle temporelle commencée par le Faune en début de soirée.

« Tu parles de perles. Mais les perles ne font pas le collier ; c’est le fil.» (Gustave Flaubert, Lettre à Louise Colet) Dominique Brun et Sylvain Prunenec choisissent, s’attardent, reviennent et repartent d’une danse à l’autre, sautant entre les références comme on égrène inlassablement un chapelet. À l’aide d’une véritable encyclopédie de gestes, traversant le siècle, ils malaxent une matière historique riche resurgissant dans leurs corps comme des souvenirs peuvent traverser l’esprit. Dans cette histoire éminemment disparate du XXème siècle chorégraphique, c’est le danseur qui tisse lui-même ce fil, émoussé parfois par les ruptures et les torsions. Et sans doute est-ce entre la courbe d’un dos, le port d’une tête ou la cassure d’un poignet retrouvés d’une danse à l’autre et d’une époque à l’autre qu’on l’aperçoit le plus vivement.

Vu au Collège des Bernardins. Les perles ne font pas le collier. Chorégraphie et interprétation Dominique Brun et Sylvain Prunenec. Régie générale et lumière Christophe Poux. Costume Sorcière Florence Bruchon. Avec la participation de Lucile Perrin. Photo © Mélanie Pottier.