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Les Grands, Fanny de Chaillé

Par Céline Gauthier

Publié le 25 septembre 2017

La chorégraphe et metteuse en scène Fanny de Chaillé signe avec Les Grands une fresque polyphonique sur la porosité des individus et la douloureuse métamorphose vers l’âge adulte. À la mise en scène des corps se mêle celle de la voix et du texte, ici celui de l’écrivain et poète Pierre Alféri, ciselé et caustique. La scène devient le terrain de jeu et d’affrontement de six personnages déclinés par des jeux d’écho et de reflet, aux prises avec les lambeaux d’une enfance rêvée mais déchue.

Une toute petite fille à la démarche hésitante parcourt la scène à petits pas. Minuscule enfant sur un immense plateau blanc dominé par des dunes crème découpées d’escaliers, imposantes silhouettes semblables à des strates géologiques sur lesquelles sont plantés trois micros. Depuis les enceintes s’élève le récit hâtif et tendre du quotidien de l’enfant, un monologue spontané mais sans innocence que ses gestes traduisent pourtant avec candeur. Dans ses mots simples affleure toute la complexité d’un monde social à la lisière duquel elle prend place.

Les Grands met en scène six comédiens, deux par tranche d’âge ; les « minis », les « ados » et les adultes se succèdent ou se retrouvent en scène, unis par trinômes identifiés par les motifs et la forme de leurs vêtements. Sans parfaitement s’imiter ni parodier le geste de l’autre, ils donnent à voir en quelques mouvements esquissés un véritable jeu de miroir : dans l’amplitude des foulées de leur marche ou le degré de maîtrise des gestes se tissent un dégradé de nuances et une variété de postures qui mettent en lumière la progressive mue d’un corps d’adulte, cependant façonné par les habitudes motrices acquises dans l’enfance.

Le texte tour à tour grave et drolatique de l’écrivain et poète Pierre Alféri est servi avec fougue et humour par les comédiens Margot Alexandre, Guillaume Bailliart et Grégoire Monsaingeon, et donne lieu à des saynètes parfois cocasses où les groupes d’âges s’observent et se jaugent, se jugent aussi puis se déchirent. Les voix se mêlent et se confondent au fil d’une narration labile où s’enchevêtrent de brefs fragments biographiques. Aux slogans des adultes scandés sur un ton de révolte les enfants répondent par une mêlée de corps qui se disloque en nuée. La scène devient l’espace d’une parade agonistique où se révèle la nostalgie d’une enfance caricaturée comme faussement insouciante, tiraillée de désirs mais encore impuissante. Les trois adolescents, réduits à incarner l’âge instable et fragile de la puberté, cristallisent dans leur corps autant que par leurs discours survoltés et lucides la métamorphose supposée transformer l’enfant mutique en adulte colérique et désillusionné. Le texte sans ambigüité ni nuances se veut une charge portée contre les valeurs capitalistes qui ruinent les ambitions et soumettent les corps aux normes de bonne conduite.

Malgré les multiples tentatives parfois grotesques d’adresse au public pour redonner un peu d’élan à cette fable manichéenne, Les Grands demeure profondément didactique. Le propos pourtant prometteur de la pièce se heurte à la frontalité d’une mise en scène qui brasse sans distinction banalités et poncifs ; partagé entre l’agacement et la jubilation, on apprécie pourtant la finesse de nombreux traits d’esprit à l’humour caustique.

Vu au Centre Pompidou dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Conception et mise en scène Fanny de Chaillé. Texte Pierre Alferi. Scénographie et costumes Nadia Lauro. Lumières Willy Cessa. Photo © Marc Domage.