Photo Jérôme Brody Point Éphémère

Un album, Laetitia Dosch

Par Nicolas Garnier

Publié le 24 juin 2016

Sur le toit du point éphémère, Laetitia Dosch propose une variation en solo. Au début de l’été, au moment du jour où le soleil disparaît mais avant que l’obscurité ne soit totale, dans ce temps interlope, défile devant nous une galerie de portraits anonymes. Les quelques 80 personnages que traverse l’actrice au cours de la performance ont été peaufiné au fil de sa tournée suivant un principe d’improvisation et de libre association. À travers eux, elle entend capter quelque chose du temps présent, de la pesanteur que subissent les corps soumis à une période de crise et de doutes profonds. La scénographie minimale de Nadia Lauro laisse l’attention du spectateur libre de se porter au dehors. Avec une modestie certaine Laetitia Dosch présente un témoignage personnel sur l’époque et ses tensions internes.

Le choix du lieu pour la représentation, comme le moment de la journée, nous pose d’emblée dans un entre-deux, entre l’espace privé et la rumeur de la rue, entre les rayons du soleil et l’intimité de la pénombre. Alors que le one woman show commence, les voisins sont postés à leur balcon, des badauds se font entendre au bord du canal en contrebas, tandis qu’en arrière-plan, les allers et venues du métro aérien rythment la performance. Le temps du spectacle et l’espace de la représentation sont invités à interférer l’un avec l’autre. De la même manière qu’un personnage peut se manifester sans prévenir, les éléments extérieurs, incontrôlables, surprennent les spectateurs et le distraient pour quelques instants.

Laetitia Dosch présente une série de situations intimes qui sont souvent en lien direct avec l’activité artistique elle-même. On assiste ainsi à plusieurs castings, pendant lesquels les organisateurs prennent un plaisir non dissimulé à asséner leur direction. Mais les moments d’intimité sont aussi légions. Que ce soit dans le cabinet d’un psychanalyste complètement anesthésié par l’expérience, ou au chevet d’une personne alitée,il est souvent question des petits drames particuliers qui parsèment la micro-expérience quotidienne. Les histoires se succèdent sur un mode mineur, Laetitia dosch joue de la suggestion avec brio. Les personnages sont esquissés en quelques traits significatifs : une simple expression, une posture, un tic de langage suffit pour leur donner une vraie présence. Les transitions se font sans un mot, on assiste à la métamorphose mutique du corps de l’actrice dont la maestria se ressent autant dans la qualité des textes que dans son expressivité corporelle.

Laetitia Dosch propose avec Un album une galerie de portraits intime où perce de manière indirecte l’influence de l’époque et de ses angoisses. La performance entre alors en résonance avec le lieu qui l’accueille, cette terrasse ouverte sur la ville dans laquelle continuent de se déployer en grand format les formes de vie qui font la matière même de la pièce.

Vu sur le toit du Point Ephémère à Paris. Directrice artistique et interprétation Laetitia Dosch. Co-mise en scène, aide à l’écriture Yuval Rozman. Scénographie Nadia Lauro. Lumières Jonas Buhler. Photo de Jérôme Brody / Point Éphémère.