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And so you see…, Robyn Orlin

Par Ludivine Ledoux

Publié le 2 novembre 2016

Au théâtre de la Bastille, la révolte a deux visages. Ce sont ceux des artistes sud-africains Robyn Orlin, chorégraphe, et son interprète le performeur Albert Ibokwe Khoza. Depuis leur rencontre à Johannesburg, le duo fait des étincelles dans le paysage théâtral. Pour And so you see… our honourable blue sky and ever enduring sun… can only be consumed slice by slice… Orlin ouvre à Khoza l’espace de son art, qu’il habite avec intelligence, avec brillance.

Robyn Orlin est une dissidente. Elle a quitté l’Afrique en l’emportant sur son dos. La dame irritante comme on la surnomme, ne courbe pas sous le poids des conflits, la scène est le front où elle se dresse, la fleur au fusil. Son théâtre est contextuel, politiquement  engagé, mais dans la félicité toujours, l’humour, l’ironie tranchante. Avec And so you see… our honourable blue sky and ever enduring sun… can only be consumed slice by slice…, elle dévoile l’homme avant l’acteur, pousse la pudeur à son paroxysme pour dégager des enjeux sociétaux touchant au monde, à ce qui pousse l’individu à se retrancher devant ce qui est communément admis, interroge sur la validité de ce qui est accepté. Pour Robyn Orlin, la scène est un creuset de questionnements, où elle veut parler de racisme, d’homosexualité, d’identité, et de liberté.

Dans une complicité palpable, Orlin et Khoza dévoilent la surface noire d’une terre qui souffre pour gagner sa liberté. And so you see… our honourable blue sky and ever enduring sun… can only be consumed slice by slice… est une ode à leurs racines, ils y invoquent les nuances qui cohabitent dans un être, dans un peuple, qu’elles en font la richesse, que des identités persécutées ne construisent rien de plus qu’un un pays dysfonctionnant.

Le spectateur prend place dans un espace noir, guidé par une lumière rouge qui éclaire les gradins et semble le désigner du doigt. Dos à lui, une silhouette trône sous un amas de draps. Ils couvrent un corps plantureux privé de ses membres, comprimé par un film plastique, tellement qu’on pourrait à peine en déterminer sa sexualité. La chrysalide de plastique abrite une chair en excès, un corps qui semble avoir succombé toute sa vie. Lorsqu’on vient le libérer d’une lame aiguisée, on assiste à la naissance d’un être de folie en prise à des besoins compulsifs. Un jeu de caméras et de projections renverse constamment les rôles, mettant alternativement acteur et public dans une position de domination ou de soumission. Une mise en scène très éloquente pour parler des rapports de force entre les peuples.

Albert subjugue par son physique hors norme assumé. Dans l’ivresse, il faut le voir se faire engloutir par ses envies, comme un animal soumit au regard du public et qui oscille entre une image consciente et inconsciente de son exhibition. Il parade, entonne des chansons, il s’épuise dans ses danses rituelles quand soudain il réalise que le public est là. Il se met à lui parler et se rapproche de la réalité. Quand il ordonne avec autorité à deux spectateurs de le frotter énergiquement pour nettoyer sa peau noire, on se demande qui est l’opprimé. Qui est en droit sur son territoire. Albert nous prête ses yeux. On suit le fil d’une mémoire individuelle, d’une identité comprimée par la vision conservatrice de son pays.

Robyn Orlin construit avec finesse un espace de revendications en appelant Khoza à parler de lui même. Albert est un homme complexe, aux milles tonalités, homosexuel, guérisseur, danseur, né en Afrique, devant lutter pour ce qu’il est. Pourquoi réprimer ses ambivalences quand elles font la richesse de qui nous sommes ? And so you see… our honourable blue sky and ever enduring sun… can only be consumed slice by slice… célèbre cette quête du peuple africain vers la démocratie, et dans la lutte il faut du courage pour se montrer avec autant de transparence, pour répondre avec ce corps hérité, assumé. Voilà une idée de la liberté : pouvoir être soi parmi les autres.

Avec And so you see… our honourable blue sky and ever enduring sun… can only be consumed slice by slice… Robyn Orlin nous parle d’un requiem pour l’humanité. Sous la trame des sept péchés capitaux, la chorégraphe cherche à mouvementer les idées et mène des regards égocentrés vers une culture qui ne manque pas de répartie. Le théâtre, l’art, ce lieu insoumis, est comme une nouvelle manière de descendre dans la rue.

Vu au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Un projet de Robyn Orlin. Avec Albert Silindokuhle Ibokwe Khoza. Costumes Marianne Fassler. Lumière Laïs Foulc. Photo Robyn Orlin.