Photo Operville © Ivo Dimchev

Ivo Dimchev

Par Guillaume Rouleau

Publié le 17 août 2016

Retour sur trois (Operville, Song from my shows et Concert Improvisation & Book Presentation) des cinq performances (avec I-Cure et Paris) données par Ivo Dimchev lors d’ImPulsTanz en plus d’un workshop : Do yourself a favor! Le chorégraphe et performer bulgare, habitué du festival depuis 2007 avec Lili Handel (2004) qui lui apporta la notoriété, affirmait l’importance de la musique dans son œuvre par un opéra expérimental, des morceaux choisis de ses performances des dix dernières années et une improvisation, accompagné au piano à queue par Lea Petra (reconnue pour ses transcriptions et enregistrements de tango). Trois approches de la musicalité qui reprenaient les codes de l’opéra, du cabaret et du récital durant lesquelles Ivo Dimchev a démontré une fois de plus ce que sa voix et son répertoire peuvent avoir d’irrésistible (#François Chaignaud).

Let’s start somewhere. I open my eyes. I breath in. I breath out. Operville (2015) était joué à l’Akademietheater le 25 juillet à 21h avec sur scène, Ivo Dimchev, Plamena Girginova et Nickolay Voynov. Operville est un « non-opéra », un « anti-opéra », voire un « contre-opéra », Ivo Dimchev utilisant des éléments de l’opéra comme le lieu, le chant lyrique et une tragique grandiloquence tout en dynamitant le chant lyrique et la dramaturgie. Pour les habits : une longue robe de velours rouge portée par Plamena Girinova, un costume beige qui ceintre Nickolay Voynov, celui bleu ciel d’Ivo Dimchev. Pour le décor : des murs noirs, un rectangle blanc sur lequel se trouve une chaise blanche. Release anger by looking. You don’t have to like it. Sur le prompteur en hauteur défile un texte entre confessions amicales et psychanalyse retorse. Le texte défile tandis que les interprètes n’en tiennent que vaguement compte, émettant aléatoirement des sons. Les vocalises de Plamena Girginova répondent aux meuglements de Nickolay Voynov et aux vociférations d’Ivo Dimchev, à sa déglutition, à sa respiration. Le texte se poursuit tout le long de la pièce, comme une logorrhée soutenue par les bruits de goret d’Ivo Dimchev. La trame dramaturgique se fait dans l’hermétisme de son aigreur, qui s’adresse aux autres sans attirer leur attention. Une indifférence qui exaspère Ivo Dimchev. Les figures vont s’enchaîner, lui montant sur eux, eux montant sur lui, comme si de rien n’était et que l’espace de la scène était le théâtre d’une cellule absurde, d’un opéra absurde, d’une ville absurde, d’Operville. I’m happy with no regulations. 

Au Schauspielhaus, à 23h59 le 13 août, les règles du spectacle étaient différentes. Ivo Dimchev présentait Songs from my shows, compilation de morceaux composés pour ses différentes performances – réarrangés pour être joués indépendamment de celles-ci. Entouré d’une fine fumée, un micro que croisent des projecteurs mauve et orangé est au centre, en avant ; un clavier sur la gauche (Dimitar Gorchakov) ; un violoncelle sur la droite (Magdalena Petrovich). Un display sans excès, contrairement au maquillage d’Ivo Dimchev. Un léger fond de teint blanc, un rouge à lèvre prononcé, un eye liner outrancier. Un maquillage qui le place parmi l’olympe des stars hollywoodiennes dont le tracé de la bouche, le contour des yeux suffisaient en un plissement à séduire le public. À voir et écouter Ivo Dimchev, on se dit que performer peut encore dire transformer, c’est-à-dire, qu’assister à une performance peut toujours dire assister à des transformations physiques, comportementales et non pas seulement à des transpositions du quotidien sur scène. La voix d’Ivo Dimchev, surlignée par les mouvements de ses lèvres carmins, saisie immédiatement par ses trémolos et vibratos, sa préciosité, son ardeur. Les chansons, les mélodies se suivent dans l’obscurité de cette salle devenue un caveau viennois out of the time. Les intervalles sont l’occasion d’un échange entre spontanéité et réplique bien préparées, drôles comme ses textes, dédiés à Franz West, à ses amants, à ses fatigues, celle des divas qui atténuent leur professionnalisme par une touche de nonchalance.

Une nonchalance que l’on retrouvait au sous-sol du Leopold Museum, le lendemain à 22h30. Un piano à queue et un micro éclairés par deux projecteurs jaunes, un mur rouge en arrière scène, accueillent le public. Avec ce léger retard qui provoque l’attente, Ivo Dimchev, en talon haut noirs vernis, à courte robe en dentelle noire, coupe au carrée courte, noire elle aussi, et Lea Petra, un bandeau sportif sur le front s’installent pour une improvisation qui visite une variété de registres que la voix et l’inspiration d’Ivo Dimchev portent jusqu’à l’admiration. Les deux techniciens s’engagent dans une folie musicale jusqu’à ce que Ivo Dimchev jette sa perruque dans un head banging et quitte la scène en chantant à pleins poumons : « I made a book, I made a book, I made a BoOoOoOoOokKkKk… », réapparaissant en tenant le livre de 448 pages sur son travail qui vient d’être publié : Ivo Dimchev Stage Works 2002-2016. Une présentation qui sera elle aussi improvisée. C’est d’abord un échange avec la chorégraphe et chercheuse américaine Jennifer Lacey, puis un échange avec un membre du public qu’Ivo Dimchev installe face à lui et commence à interroger sur ce qu’il a vu de lui et ce qu’il en a pensé, puis un échange avec Karl Regensburger, intendant de ImPulsTanz, sur les piques légères que le performer bulgare adresse au festival. Ivo Dimchev Stage Works 2002-2016 n’en reste pas moins très bien documenté et permet de découvrir, d’ouvrir et d’en découdre avec une œuvre qui s’apprécie sur scène, lieu pour Ivo Dimchev de toutes les extravagances.

Performances vues dans le cadre d’ImPulsTanz. Texte, chorégraphie et partitions vocales Ivo Dimchev. Photo © Ivo Dimchev.