Photo indivisibilite LaurentPichaud©LaurentPaillier

indivisibilité, Laurent Pichaud

Par François Maurisse

Publié le 23 juin 2017

En 2005, le chorégraphe et danseur Laurent Pichaud est invité à rejoindre un projet de Deborah Hay, O,O. Intrigué par le travail de cette chorégraphe américaine travaillant depuis les années 1960 à une nouvelle façon d’envisager le corps et le dispositif spectaculaire, il ne cesse de lui poser des questions. Depuis Laurent Pichaud est assistant sur plusieurs projets de Deborah, a obtenu une bourse pour mener un travail dans ses archives, a traduit un de ces livres, Mon corps, ce bouddhiste, et produit de façon autonome, un travail « in situ » dans l’œuvre de la chorégraphe américaine. indivisibilité, créé pour le festival d’Uzès danse cette année, est une des facettes de cette recherche.

Dans la fraîcheur de l’église St-Etienne, les spectateurs prennent place, disséminés dans l’espace, installés sur de fins coussins à même les dalles de pierre. Le chorégraphe, déjà présent, échange quelques mots avec le public, ici et là. Sans véritable entrée en matière, la performance débute alors, il se saisit d’un lourd outil de jardinage en fer qu’il fait résonner contre le sol de l’Eglise, s’attardant autour d’un reflet de lumière produit par un vitrail. Quand il chante, sa voix résonne, emplit l’espace au cœur duquel il évolue, fluide, empêchant toute perception frontale et objectivation du mouvement ou de l’action.

De temps à autre, il s’accroche à son outil comme s’il était pendu au bout d’une liane, et dans cette position inconfortable prend la parole pour pour raconter la genèse de la pièce, des anecdotes diverses sur son travail, son rapport à Deborah Hay. Il s’attarde aussi sur différentes idées de pièces qu’il a pu avoir dans le passé, comme des moments d’inspiration soudaine face à une étrangeté du quotidien, racontant son passage non loin d’une rivière nommée Œil, ou encore la sieste d’un préhistorien au plus profond d’une grotte ornée. Quand il s’empare d’une paire de plaques de fer, il continue son arpentement de l’espace, le corps soumis à la contrainte. D’abord il chausse ces plaques et avance péniblement, le pas bruyant et trainant, puis il empoigne ces objets, balançant les épaules, les bras, le buste, à genoux dans une posture pénitente, avec obstination.

Après cette séquence éprouvante physiquement pour lui, il prend place parmi les spectateurs, et répond à quelques questions d’Olivier Hespel (critique et dramaturge, conseiller artistique pour le festival Uzès danse) sur sa récente traduction du livre de Deborah Hay, sur l’influence de cette artiste sur son propre travail. Après cette séquence discursive quasi-professorale, Laurent Pichaud se déshabille pour se retrouver seulement couvert d’une fine combinaison intégrale moulante en lycra aux motifs rouges, jaunes, blancs et noirs, couleurs de l’état américain du Maryland. Les antiques radiateurs au gaz de l’église se mettent en route, produisant un étrange bourdonnement, et une chaleur dérangeante. Il tend une longue guirlande de fanions à l’entrée de l’église, entre les colonnes et son propre corps, se débattant avec le cordon, éprouvant un état physique hésitant, une gestuelle animale, aboyant avec vigueur.

A la fin de la performance, le chorégraphe est rejoint de l’autre côté de l’espace, par son double, un deuxième performeur vêtu de la même combinaison colorée que lui, avec qui s’engage un corps à corps étroit. Il finit par disperser sur le sol un seau de balles de ping-pong, qui lui échappent, roulent et se logent dans les interstices du dallage en pierre.

Déroutante, cette performance agit dans un temps distendu, expérientiel, perceptif, plongeant les spectateurs dans une étrange nonchalance autorisant les divagations mais aussi dans un état d’alerte qui les pousse à épier le chorégraphe dans tous ces gestes. indivisibilité est une proposition qui s’inscrit dans une recherche au long terme menée par Laurent Pichaud, qu’il est impossible d’envisager comme une forme terminée, autonome, mais plutôt comme une extension d’un travail plus ample, qui nécessite pour son appréhension une grille de lecture discursive qui convoque de nombreuses références, au centre desquelles trône la figure tutélaire de Déborah Hay.

Vu au festival Uzès danse. Conception et interprétation Laurent Pichaud. Dispositif théâtral pour l’église Saint-Etienne Laurent Pichaud, Cédric Torne. Harmonica préparé Yannick Guédon. Photo © Laurent Paillier.