Photo Alwin Poiana

Higher, Michele Rizzo

Par Boris Atrux

Publié le 6 octobre 2016

Michele Rizzo est un plasticien, musicien, danseur et chorégraphe italien installé à Amsterdam. Depuis quelques années il développe sa pratique autour du « club dancing » à travers des workshops, des performances et des installations, explorant le pouvoir de la danse comme potentiel chorégraphique – technique et politique – et comme forme sociale de catharsis et de célébration. Higher est sa dernière création pour la scène.

On est d’abord plongé dans une obscurité totale. Puis, des nappes sonores, composées par Lorenzo Senni, accompagnent le clignotement rythmé de petites spots lumineux alignés et bien en rang, suspendus en fond de scène. Ce petit ballet lumineux se poursuit alors que très progressivement apparaissent un puis deux puis trois danseurs, accompagnés par de subtils éclairages placés très hauts et tout autour de la salle, qui percent la moiteur visuelle. Ils ont la même tenue : débardeur/t-shirt, shorts, sneakers, dans des tons éteints du gris-bleu sombre au noir, des physiques de dance-floor. Dans cette atmosphère vaguement brumeuse qui s’empare de la scène et de la salle, chacun décrit très lentement des trajectoires fluides, rentrant dans le son, dans cette manière de bouger son corps typique du club, en le faisant rentrer dans une danse automatique, dans une semi veille répétitive, veillant à ne pas fatiguer le corps. Pas à pas, le volume sonore continuera peu à peu à s’intensifier tandis que les trois danseurs terminent leurs soli et se rejoignent au centre de la scène, faisant face au public, séparés les un des autres par deux enjambées. Ils ne quitteront pas cette configuration avant que ne se close Higher par le repli des danseurs, du son et des clignotements lumineux. C’est là que Michele, Max et Juan Pablo, portés par le set techno de Lorenzo Senni vont donner le meilleur d’eux-mêmes, dans une chorégraphie où les trois exécutent précisément les mêmes mouvements, ou presque.

L’expérience du club, cet espace-temps concentré et étendu à la fois, si bien décrite par Didier Lestrade dans ses Chroniques du dance-floor ou par Douglas Crimp dans Diss-co (A fragment) comme rituel social et culturel de possession, ancré dans les décennies 80 à 90, est sans doute la plus belle utopie où s’entremêlent un certain hédonisme, l’amour du son, la drague et l’être ensemble. Indissociable d’une subculture gay qui y a trouvé son hétérotopie, un terrain commun d’expression et de rassemblement afin de célébrer un autre style d’existence, le club est ce moment privilégié pour danser. Et ce qu’on a sous les yeux et dans les oreilles pendant ce climax central de la pièce, c’est ce long étirement magnifique de trois corps sous la lumière, emportés par la musique brute et circonvolutionnée, montant très lentement, dans la maitrise d’une chorégraphie aux enchainements limités mais magnifiés. Ce qui est très beau aussi c’est que chacun d’eux épouse un style bien à lui, une manière de balancer les bras, de poser ses pieds au sol, de fermer les yeux, d’être coulant ou plus nerveux, tout en retenu et en élasticité ou plus expansif et contorsionné, car ce type de danse est toujours une expression bien plus profonde et personnelle que l’apprentissage d’une suite de gestes, elle vient qualifier une existence. Elle peut aussi devenir à coup sûr une surface à fantasme pour le spectateur.

Ce qui se construit pour un court moment avec évidence c’est l’articulation entre le singulier et le collectif : ils dansent la même chose en même temps mais d’une certaine façon ne dansent pas ensemble. Alors que le club est en général le lieu d’une foule qui progressivement sue, fatigue, quitte le lieu, en se reconfigurant sans cesse, la pièce de Michele Rizzo isole trois magnifiques danseurs, et transpose sur la scène ce qui fait du club une expérience esthétique particulière. Et on se prends alors à rêver à cette utopie d’êtres différents partageant un même espace, et le plus difficile est de ne pas le/les rejoindre pour danser. On sait que Michelle Rizzo, italien mais basé à Amsterdam, anime pour l’excellent If I can’t dance I don’t want to be part of your revolution un workshop régulier, l’occasion prochaine de briser la barrière entre la scène et la salle ?

Vu à la Briqueterie, dans le cadre des Plateaux. Concept et chorégraphie : Michele Rizzo, Musique : Lorenzo Senni. Avec Juan Pablo Camara, Max Goran et Michele Rizzo. Photo © Alwin Poiana.