Photo Jérôme Bel

Gala, Jérôme Bel

Par François Maurisse

Publié le 9 mai 2017

Dernière création de Jérôme Bel, Gala (2015) était présenté une nouvelle fois au Centre Dramatique National la Commune à Aubervilliers. Parfois dans des versions spécialement conçues pour des musées, ou sous la forme d’extraits, la pièce tourne internationalement depuis bientôt deux ans. Quand elle voyage, elle est remontée entièrement avec de nouveaux interprètes, recrutés à distance par l’équipe de la compagnie RB Jérôme Bel. A cet endroit, un effort de représentativité est fourni, tant la diversité du groupe de performeurs est fondamentale. Depuis plus de 20 ans, à l’aide de pièces telles que Jérôme Bel (1995), Nom donné par l’auteur (1994), Le dernier spectacle (1998), ou encore The Show Must Go On (2004), le chorégraphe étoile une recherche de longue haleine, tentant de déceler et désamorcer les différents procédés du spectaculaire. Dépouillant le spectacle de danse de ses artifices, c’est finalement au sein de problématiques épistémologiques qu’il construit ses interrogations.

Partagé en plusieurs séquences, Gala commence par un diaporama silencieux présentant des salles de spectacles vides, aux quatre coins du monde. Au delà de renvoyer de façon évidente aux spectateur l’image même de la situation dans laquelle ils se trouvent, la série de photographies projetée en fond de scène met l’accent sur la grande diversité et la simplicité extrême du dispositif théâtral. Entre des images de théâtres à l’italienne, sièges rouges et tentures épaisses ou de grandes salles qui pourraient être celles du Théâtre de la Ville ou de la Commune où est présenté le spectacle, se glissent des diapositives montrant des rondins de bois placés autour d’un espace vide, ou quelques chaises en plastique rassemblées devant une estrade de fortune.

Un performeur entre, installe un écriteau sur lequel est griffonné le mot « Ballet », avant de se placer au centre et d’effectuer une pirouette. Ses camarades le suivent, et c’est un véritable défilé de personnes d’une diversité frappante – professionnelles de la danse, amateures, enfants, plus agées, en fauteuil roulant, grandes, petites, noires ou blanches – aux tenues fluos exubérantes qui, avec plus ou moins de réussite, tentent la figure. Il s’en suit une séquence grand jeté, puis des séquences valse, moonwalk, improvisation libre en silence… Quand l’écriteau affiche « solo », un danseur se place seul au centre du plateau et danse une partition qu’il a lui même écrite, sur une musique qu’il a lui même choisie, avec une unique contrainte de durée. Quand « compagnie compagnie » remplace « solo », ses compagnons le rejoignent et procèdent à l’imitation méticuleuse et plus ou moins efficace de son solo, placés derrière lui. Cette dernière séquence se répète à chaque fois avec un nouveau « professeur », jusqu’au dernier pour lequel nous est offert un enjoué lip sync sur le New York New York de Liza Minelli.

A l’aide de séquences drolatiques, de costumes surprenants et de musique populaire, Gala est un spectacle inclusif, bon enfant et facile d’accès. Il s’agit en effet de créer une communauté éphémère, autour de la pratique de la danse, de construire peu à peu les couches de la représentation, tout en défaisant les procédés habituels de dramaturgie, de virtuosité, de performance, en déplaçant nos attentes face à l’image d’un corps mis en scène. Radicalement différent d’un spectacle comme Jérôme Bel, qui travaillait l’épure des facteurs musique/lumière/interprètes/partition sur le plateau, Gala semble tenter le dévoilement des rapports directs entre le public et la « compagnie » présente au plateau. Eprouvé dans ses expectatives, le spectateur a un rôle actif dans le régime du spectacle, sa position tour à tout questionnée par un effet de miroir entre salle et plateau et le travail de conceptualisation qu’il est amené à effectuer, par ses tentatives d’interprétation et son appétit de sens. C’est en effet au spectateur de rendre spectaculaire ce qu’il voit.

La danse n’est pas ici considérée comme une pratique autonome et indépendante mais elle est au contraire inscrite au cœur même de l’interaction sociale. Loin de l’idée d’une danse technique qui s’apprend, soumise à des codes et des conventions, c’est sa quasi-universalité et sa qualité presque infra-langagière qui est dévoilée. En effet, la notion de « savoir chorégraphique » se trouve mise à mal, laissant volontiers sa place à l’erreur, l’approximation et la maladresse. La fragile communauté du plateau, bordélique et gentiment exubérante semble rassemblée et mue par la joie de se donner en spectacle ensemble, une joie communiquée plutôt efficacement chez l’ensemble des spectateurs, réunis à leur tour, malgré leurs différentes appréhensions, habitudes ou propensions réflexives face à la danse.

Vu au Théâtre de la Commune à Aubervilliers. Conçu et mis en scène par Jérôme Bel, assistant à la mise en scène Maxime Kurvers. Photo © Josefina Tommasi.