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William Forsythe / Opéra de Paris

Par Céline Gauthier

Publié le 6 juillet 2016

Une création, une relecture et une entrée au répertoire : riche soirée au palais Garnier pour l’Américain William Forsythe, associé à la troupe de l’Opéra pour cette saison.

Of any if and, Approximate Sonata, Blake Works I, avec trois courtes pièces dédoublées en multiples tableaux, le chorégraphe développe des thèmes qui lui sont chers autour de la musique de son fidèle acolyte le compositeur Thom Willems. La gestuelle classique est avec délice profondément distordue, mâtinée du souvenir de fragments poétiques ou musicaux, latents derrière la danse.

Of any if and est d’emblée placée sous l’égide de la parole, psalmodiée dès avant l’entrée des danseurs dans un murmure presque inaudible par deux interprètes assis en fond de scène. Leurs voix se mêlent en une douce prière, comme un écrin pour la danse pendant que des cintres descendent des rangées de panneaux gris sur lesquels sont inscrits quelques mots entrecoupés de longs espaces. Un premier duo s’élance sur le plateau, amorce une danse énergique et sinueuse, où les corps sans cesse déséquilibrés se muent en puissants balanciers. Les danseurs s’élèvent par d’élastiques arabesques dans une danse moelleuse où les glissades feutrées font écho aux mélodies langoureuses de Thom Willem, ici rehaussées de notes éparses mais puissantes.

Approximate Sonata nous surprend avant même la fin de l’entracte, lorsque parmi les spectateurs encore debout s’élève une douce musique tandis que le plateau termine sa mue dans la pénombre. Deux danseurs s’avancent au bord de la scène, à la lisière de la salle encore éclairée ; vêtus d’une simple tunique de travail, ils semblent comme en aparté témoigner de la complicité établie par Forsythe avec les danseurs de la troupe, nourrie d’ateliers et d’improvisations. Les interprètes entre eux esquissent sourires et clins d’œil, échangent quelques mots ou commentent leurs gestes. Les duos confinent à la parade nuptiale où chacun défie l’autre d’un geste ou d’un hochement de tête, un art de l’esquive où tous malgré leur calme apparent semblent prêts à bondir. Chaque mouvement paraît poursuivre son expansion derrière eux, sur la scène vide, véritable caisse de résonnance de leur danse dans laquelle ils pénètrent ensuite timidement

Le vocabulaire du ballet semble ici réinvesti pour étirer, délier encore davantage les corps et proposer une gamme commune de gestes à manipuler. En résulte une danse sobre et épurée où cependant la tentation charnelle toujours affleure, lorsque par instants les quatre duos qui se succèdent s’effleurent ou plus énergiquement s’empoignent, le buste largement déployé. Les reins des danseuses se ploient pour absorber la cambrure des pointes et par deux ils s’enlacent puis dans un dernier sursaut s’élancent vers nous.

On reconnaît d’un seul regard le style du chorégraphe américain qui affleure à travers le corps des interprètes : l’ascendance des hanches et de leur rotation comme épicentre du mouvement pour une danse où l’accord des partenaires repose sur une qualité très fine d’écoute : délicatement leurs mains se glissent au creux du coude ou du genou lorsqu’ils se soutiennent l’un l’autre et paraissent se dédoubler.

Le corps de ballet entre enfin en scène avec Blake Works I, sur les musiques enivrantes de James Blake, jeune artiste confirmé de la scène électro britannique. L’ensemble est plus tonique, davantage rythmé et les danseurs exécutent la même partition en un vertigineux canon qui démultiplie les corps, toujours plus vifs dans l’exécution des jetés battus et des petits piétinés qui donnent chair aux pulsations de la musique. Les danseurs enrichissent chaque pas de multiples jeux de mains et d’adresse ciselés, de ports de têtes, fausse pantomime très contemporaine évoquée avec humour.

Forsythe a l’élégance de mettre en avant des danseurs que l’on ne voit que trop rarement, donne leur chance à tous les solistes mais surtout magnifie les ensembles masculins, ici dans une sublime succession de tableaux en gris bleuté où les solistes dévoilent leur musculature puissante et traversent le plateau d’un bond. On ne peut que se réjouir de voir ici réunies en une même soirée ces trois propositions tant chorégraphiques que sonores, desquelles les danseurs de l’Opéra semblent d’ailleurs se délecter pour notre plus grand plaisir.

Vu à l’Opéra Garnier. Avec les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet. Of Any If And et Approximate Sonata. Musique Thom Willems. Chorégraphie, scénographie et lumière William Forsythe. Costumes Stephen Galloway. Blake Works I Musique James Blake. Chorégraphie, scénographie et lumière William Forsythe. Costumes William Forsythe et Dorothée Merg. Lumières William Forsythe et Tanja Rühl. Photo d’Ann-Ray / Opéra National de Paris / Blake Works I