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Loïc Touzé, Forme Simple

Par Céline Gauthier

Publié le 11 juin 2018

Avec Forme Simple, le chorégraphe Loïc Touzé explore les résonances et les imaginaires motiles que recèlent les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach. Sur scène un quatuor de trois danseurs et d’une musicienne, la claveciniste Blandine Rannou, pérégrinent avec grâce et humour dans la partition sonore en quête de formes et de rythmes anciens, mâtinés de gestes profondément contemporains.

Dans la pénombre du plateau seulement éclairé d’une unique ampoule, les danseurs associent figures de danse académique et poses puisées dans la statuaire antique, incarnées par leurs silhouettes marmoréennes aux visages et aux mains grimées de blanc. Dans un port de bras, un buste arqué affleurent déjà les réminiscences des chorégraphies baroques, ici ponctuées de gestes brusques et angulaires : pieds fléchis, bras rigides et fixité articulaire composent des personnages polymorphes, tant danseurs que pantins.

Entre chaque variation subsistent quelques secondes de flottement : immobiles et à l’affut les uns des autres, ils attendent de percevoir une impulsion, l’esquisse d’un premier geste. Alors la claveciniste délicatement dépose ses doigts sur les touches de l’instrument. Les formes inaugurales, amples et sereines, laissent place à une écriture plus dense et riche où les danseurs s’entrecroisent sur le tapis crème du plateau en de grandes enjambées. Les lignes des corps deviennent plus complexes, moins figuratives et s’ornent de torsions, d’ondulations arabesques et de danses de couple solitaires : chacun arrondit ses bras pour enlacer l’espace qui l’unit aux autres.

L’amplitude des gestes tour à tour prend appui sur la ligne mélodie des Variations ou contraste avec la rigueur du timbre métallique du clavecin, dont la silhouette imposante occupe le fond de la scène. L’apparente austérité des danseurs se teinte de malice et d’humour, leurs yeux s’animent et leurs bouches se tordent de mimiques tandis qu’ils se livrent à une apathique parodie de lutte aux accents gréco-romains ; avec une lenteur extrême les muscles se mêlent et les forces se rejoignent pour que l’équilibre advienne dans des jeux d’équilibre, de portés et de trios.

Les variations sont parfois concentrées autour de l’exploration d’un seul geste, comme ces roues de gymnaste pour lesquelles l’exécution de la figure importe moins que le rituel qui l’annonce : les jambes fichées dans le sol et les bras déployés, ils puisent l’impulsion nécessaire pour déployer l’acrobatie. Ailleurs, l’effusion musicale donne naissance à de fertiles analogies : une marche ponctuée de sursauts, de brusques déplacements et de rebonds évoque autant la corporéité de la Belle Danse que les gestes de l’escrimeur et la posture de l’écuyer. Ils mettent en lumière la cohérence des imaginaires et des usages des corps propres à l’esthétique baroque.

Pour Forme Simple, Loïc Touzé dit avoir puisé dans les profondeurs des couches mélodiques de la partition musicale des gestes anciens et oubliés ; cette écoute, minutieuse et analytique, demeure quelquefois insensible à l’oreille d’un spectateur profane. En découle une sensation de discordance entre l’amplitude des gestes et celle des gammes de notes, atténuée à l’occasion d’une « variation fantôme » ainsi nommée parce que la claveciniste allège le contact de ses doigts sur les touches jusqu’à ce qu’on ne perçoive la mélodie qu’en sourdine. L’attention se reporte sur les gestes de la musicienne, ses mains délicatement abaissées et promptement suspendues, les poignets relevés, son dos qui par vagues se courbe et se redresse tandis que sa tête s’incline. Le son du clavecin ne s’élève de nouveau que plus cristallin ; du sol les danseurs émergent doucement, comme suspendus depuis les cintres, traversés par quelques oscillations somnambules.

Vu à l’Atelier de Paris, dans le cadre du festival June Events. Conception et chorégraphie Loïc Touzé. Musique Variations Goldberg de Bach. Danseurs Madeleine Fournier, David Marques, Teresa Silva. Clavecin Blandine Rannou. Lumière et régie générale Pierre Bouglé. Costumes Valentine Solé. Scénographie Miranda Kaplan. Photo © Martin Argyroglo.