Photo Pierre Grosbois

Fantasio, Thomas Jolly

Par Yannick Bezin

Publié le 16 février 2017

Le jeune metteur en scène Thomas Jolly semble cette année avoir les faveurs des institutions lyriques parisiennes. Après Eliogabalo qui avait ouvert la saison de l’Opéra de Paris, c’est pour l’Opéra Comique qu’il ressuscite, avec Laurent Capellone, le Fantasio d’Offenbach. Deux œuvres que tout oppose (époque, genre, intention, distribution vocale, instrumentation, etc.) exigeaient de Thomas Jolly deux approches bien distinctes, même si la récurrence de certains éléments scéniques commencent à constituer des marqueurs, autrement dit un style.

L’Opéra Comique étant encore en travaux, sa saison commence hors les murs et c’est donc le Théâtre du Châtelet qui accueille cette résurrection de Fantasio. Créé en 1872, la partition d’Offenbach n’avait survécu que partiellement à l’incendie de l’Opéra Comique, commanditaire de l’œuvre. La perte pouvait semblait mince dans la mesure où la création fut un échec pour des raisons tant esthétiques que politiques. On reprochait à Offenbach ses incursions dans le genre de l’opéra-comique (lui qui réussissait si bien dans l’opéra-bouffe), mais aussi une supposée germanophilie (d’origine prussienne, Offenbach situe l’action de Fantasio en Bavière et dédie l’œuvre à un autrichien !), bien inappropriée après la guerre de 1870. Les reprises de Fantasio à Vienne en 1872 furent elles aussi brèves : 27 représentations.

Le livret de cet opéra n’est peut-être pas non plus étranger à son échec. Certes, Musset est un célèbre auteur de théâtre mais celui que Baudelaire qualifiait de « croque-mort langoureux » donne à l’ensemble du texte une tristesse et une sorte de nostalgie qui assombrissent la verve pétillante qu’on associe à Offenbach. Pourtant, cette ombre sur la partition semble annoncer ce chef-d’œuvre final que sont Les contes d’Hoffmann. Si les deux principes de l’intrigue sont éculés au théâtre tant dramatique que lyrique (le double travestissement et le fou plein de sagesse), ils n’en sont pas moins assez efficaces et conservent leur dimension comique. Les choix de mise en scène prennent en compte cette nature double et ambivalente du livret. La difficulté résidant dès lors une approche qui unifie la diversité des registres mobilisés.

Thomas Jolly, comme pour son Eliogabalo, conçoit la scène comme un espace mixte donnant à voir des lieux déterminés (la place publique, le cabaret, un balcon, les jardins du Château, la prison) mais aussi des espaces plus symboliques (la scène de la Lune, le nom de Fantasio qui descend des cintres, le cercles concentriques qui annoncent le Comte de Mantoue). Pour cela il a recours à une installation scénique unique et immobile, composée d’un escalier central flanqué de deux petites terrasses sur pilotis, sous lesquelles les personnages peuvent également circuler. Les entrées et sorties ne se font que rarement par les coulisses mais plus souvent par les côtés de cette installation et surtout par l’énorme diaphragme ouvrant sur des espaces divers (le château, un jardin, la ville). Ce massif décor noir est complété par des praticables mobiles, maniés par des grooms, permettant également les entrées et sorties des personnages principaux mais aussi la constitution de nouveaux espaces (le balcon et le jardin, la prison).

Semblant proscrire de ses mises en scène la profondeur des plateaux, Thomas Jolly concentre l’ensemble de l’action sur le devant de la scène. Cela permet de donner une certaine densité à l’action dramatique mais occasionne parfois un manque de lisibilité, d’autant plus lorsque l’éclairage du plateau est faible. Le travail des lumières, assuré par Antoine Travert et Philippe Berthomé, est un élément essentiel de cette mise en scène. Ils offrent au plateau, dans une atmosphère le plus souvent assez sombre, toute une palette d’obscurités en jouant sur la diversités des moyens mis en œuvre : la rampe (hommage à la scène qui a vu la création de Fantasio), une seule grosse ampoule dans scène de la prison, des diodes sur les praticables mobiles pour les lucioles du jardin, les guirlandes d’ampoules du cabaret, etc. Même le cadre de scène du Théâtre du Châtelet est brièvement baigné d’une lumière qui en fait doucement luire les ors.

Les contrastes lumineux, jouant ponctuellement sur de violents clairs-obscurs, les ombres chinoises, les costumes, une certaine gestuelle semblent indiquer l’une des sources d’inspiration de Thomas Jolly et de son assistante Katja Krüger : les cabarets expressionnistes. L’esprit de troupe et la joie partagée sur scène y contribuent également. L’ensemble de ces éléments suscite un réel plaisir pour le spectateur. La direction d’acteur n’y est pas pour rien non plus dans la mesure où l’opéra-comique comporte des nombreux passages parlés. L’ensemble de la distribution est sur ce plan irréprochable. On soulignera cependant les performances dramatiques et pas seulement vocales de Marianne Crebassa et de Philippe Estèphe qui manifestent un engagement physique remarquable.

Le quatuor des garçons est très bon, tout en verve et en gouille. Jean-Sébastien Bou et Loïc Félix forment un duo comique efficace. Marie-Éve Munger incarne la princesse Elsbeth avec grâce mais rencontre ponctuellement plus de difficultés à tenir certaines notes. Il faut cependant reconnaître que son rôle est vocalement plus difficile que celui de Fantasio et exige une soprano lyrique sachant se confronter à quelques passages colorature. Le chœur assuré par l’Ensemble Aedes est parfait, toujours en place, juste et dynamique. L’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la direction de Laurent Campellone parvient à rendre toutes les nuances de la partition, allant du duo d’amour aux parodies d’airs rustiques, en passant par la musique militaire ou la valse.

Le succès de cette résurrection, ou plutôt de cette recomposition proposée en 2013 par le musicologue Jean-Christophe Keck, constitue pour Offenbach une forme de revanche posthume.

Vu au Théâtre du Châtelet (Opéra Comique hors les murs). Direction musicale Laurent Campellone. Mise en scène Thomas Jolly. Photo © Pierre Grosbois.