Photo © Mike Rafail

Europium, Linda Kapetanea & Jozef Frucek

Par Yannick Bezin

Publié le 3 octobre 2017

Europium, présenté brièvement sur la scène de La Rose des Vents à Roubaix, se présente comme l’aboutissement d’un travail de deux années autour de la culture et du monde occidental. Immédiatement, l’assimilation de l’Europe (évoquée dans le titre) au monde occidental (concept pour le moins flou) semble problématique. Les deux fondateurs de la compagnie RootlessRoot semblaient pourtant par leurs origines géographiques pouvoir proposer une création sur l’Europe : Linda Kapetanea est grecque, Josef Fruček est slovaque.

Parmi ce qu’ils considèrent comme « les mythes de notre monde occidental », leur choix s’est porté sur le Radeau de la méduse. Quand bien même cet immense tableau de Géricault peint en 1818 condense un certain nombre de thématiques et de recherches picturales du romantisme et que la situation géopolitique actuelle en Europe, notamment les bateaux de migrants et de réfugiés, peut y renvoyer, il est excessif d’y voir un mythe au sens plein du terme. D’autant plus que cette image du radeau n’est convoquée qu’à la toute fin du spectacle.

Europium est une création scénique problématique dans la mesure où elle accole, voire mêle, les arts et les registres sans pour autant qu’une unité d’ensemble se dégage pour assurer la cohérence des divers éléments : danse, performance, cirque, clown, théâtre. Tous ces arts sont plus ou moins convoqués et évoluent de la bouffonnerie à la grandeur en passant par la violence débridée.

Bien qu’on saisisse parfaitement les modifications de lieu, d’atmosphère et de registre (notamment grâce à l’intéressante composition musicale de Vassilis Mantzoukis et aux lumières de Sofia Alexiadou et Periklis Mathiellis), les intentions de sens qui y sont liées ne sont pas lisibles. Quid, par exemple, de l’avant-dernier tableau clownesque où les acteurs apparaissent masqués et semblent composer une famille ? Qui sont-ils ? Quel rapport avec la scène antérieure et celle qui suit ? Qu’est-ce qui ce joue là ?

Les deux longs monologues qui ouvrent et ferment le spectacle laissent tout aussi perplexes. Le premier peut apparaître comme une philosophie de l’art (Heidegger n’est-il pas mobilisé ?) tandis que le deuxième semble être un discours de remerciement au public et aux sponsors. L’un comme l’autre affirment et partagent une foi absolue en l’art. Cependant, le discours lui-même par de nombreux signes et ce qui est montré scéniquement semblent démentir cette lecture. S’agit-il dès lors d’une forme d’ironie, d’autodérision ? Et donc d’un hommage à l’esprit romantique ? Mais avons-nous alors vraiment affaire à une dénonciation de certains poncifs sur l’art, l’artiste et son œuvre ? Si c’est bien le cas, le discours n’a rien de nouveau et la forme adoptée parait inadaptée. Jamais le spectateur n’est assuré d’avoir saisi l’intention des intervenants. L’incertitude plane constamment sur la position du locuteur au sujet de ses propres affirmations. Ainsi, malgré l’ironie qui transparait de façon évidente lorsque l’un des… comment même le qualifier ? : danseur ? acteur ? personnage ? demande au public « une salve d’applaudissement pour nos sponsors », il s’avère que toute la salle applaudit d’un seul homme prenant la demande au premier degrés.

Les rares moment de grâce (l’entrée progressive de trois danseurs portant une immense poutre par exemple) tournent malheureusement à la répétition. Le déplacement de ces poutres, qui ne cessent de se multiplier sur le plateau, ne semble que le meubler au premier sens du terme, et ne peuvent tenir lieu ni de discours ni de proposition scénique.

La scène d’ouverture laissait augurer du meilleur. Le danseur-acteur émet des sons avec toutes les parties d’une batterie, sauf celles qui sont dédiées à cela, ce qui provoque un effet comique aussi original qu’efficace. Alors s’ouvre le premier monologue qui se termine sur : « vous ne pouvez pas vous servir de moi pour décoder ce spectacle ! Je n’ai rien à voir avec lui ! Je dis n’importe quoi. » S’enchaîne alors la partie « dansée » du spectacle, divisible elle-même en plusieurs tableaux, puis vient le dernier monologue. La cohérence efficace de la troupe se révèle ici dans la réalisation sur scène d’un radeau, évoquant par sa forme celui de Géricault et construit à partir des poutres qui n’ont cessé d’être déplacées sur le plateau. L’artiste dévidant ce monologue est progressivement inséré dans la structure même du radeau.

On ne peut nier à cette petite équipe (5 artistes) qui investit le plateau l’énergie et la conviction mais si l’on doit tirer d’Europium une image de l’Europe (à défaut de l’occident), alors s’en dégage un nihilisme esthétisant frisant l’absurde, qui dans son contenu et dans sa forme n’est ni nouveau ni subversif.

Vu à La Rose des Vents à Roubaix. Concept et direction Rootlessroot Linda Kapetanea et Jozef Frucek. Composition musicale Vassilis Mantzoukis. Avec Konstantina Efthymiadou, Manuel Ronda, Jacob Ingram-Dodd, Paul Blackman, Linda Kapetanea. Photo © Mike Rafail.