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Corbeaux, Bouchra Ouizguen

Par Céline Gauthier

Publié le 27 septembre 2016

Sous l’égide de la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen, la troupe des Corbeaux, composée d’une vingtaine de danseuses professionnelles et amatrices, propose une surprenante pièce collégiale et itinérante. Cette fois-ci le public a pris place sur les berges de Pantin, de part et d’autre du canal de l’Ourcq pour assister à l’entêtante parade des oiseaux.

La cohorte des danseuses apparaît depuis l’arche d’un pont, masse compacte et recueillie dans une lente procession silencieuse. Vêtues de sobres habits noirs et d’une coiffe blanche habilement nouée sur leur tête, elles progressent jusqu’à nous puis s’interrompent un instant. Une à une elles s’avancent sur la berge, sombres silhouettes presque jaillies de l’imaginaire hitchcockiens. Seules les aigrettes blanches de leurs coiffes tressaillent dans un souffle d’air qui charrie les bruits lointains de la ville. S’élève du corps des danseuses une clameur, celle des cris échappés lorsqu’elles inclinent brusquement leur tête vers l’avant ; geste puisé dans l’inspiration des danses rituelles, qu’elles répèteront sans cesse jusqu’à la transe.

À mesure que l’on s’habitue à la litanie des corps, notre attention progressivement se détache de la chorale des danseuses pour considérer une à une leur gestuelle et la manière singulière dont chacune accomplit ce geste unique, cette contraction sonore pour l’accomplissement de laquelle la chorégraphe semble avoir laissé carte blanche aux danseuses. Certaines sollicitent leur corps entier et ploient leurs genoux dans l’effort. L’une d’elles contracte violemment les muscles de sa nuque et laisse plonger sa tête vers l’avant, tandis qu’une autre bascule l’épaule au rythme de ses cris. Certaines parviennent à trouver le ressort d’un mouvement continu, jouant de leur buste comme d’un balancier. L’oreille est à son tour attirée par les cris qui s’élèvent de la nuée : les sonorités jusqu’ici harmonieuses se dérèglent et l’ensemble devient cacophonique. On y perçoit mieux alors l’onde de propagation des chants au sein d’ensembles éphémères tandis que triomphe de loin en loin un cri troublant où le croassement du corvidé laisse transparaître les modulations de la voix humaine.

Les Corbeaux s’affairent ainsi pendant près de quarante minutes, durée sans doute nécessaire pour donner à chacun le temps de laisser vagabonder son regard. L’attention décline peu à peu jusqu’à ce que, sans qu’on le perçoive avec certitude, la clameur s’amenuise et l’une après l’autre se taisent. Dans la foule immobile seules deux acharnées persistent pour laisser résonner un ultime cri triomphal. À travers cette nuée des corbeaux s’entrevoit l’intention de Bouchra Ouizguen de déployer l’ensemble des infimes variations possibles autour d’un geste commun. La proposition des danseuses trouve sa force dans cette mise en scène hors-les-murs, servie par l’implication remarquable de ses interprètes. Cependant le résultat semble tout de même manquer un peu d’audace.

Vu au Centre National de la Danse dans le cadre d’Ouverture après travaux, avec le Festival d’Automne à Paris et du programme New Settings de la Fondation d’entreprise Hermès. Conception et direction artistique Bouchra Ouizguen. Photo © Centre national de la danse.